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AUTO UNION - GRAND PRIX V-12 TYPE D 1939
De 1934 à 1939, la compétition automobile fut dominée par deux marques : Mercedes-Benz et Auto Union. Bien qu'étant toutes deux des monoplaces à quatre roues, les automobiles de ces deux firmes étaient totalement différentes en matière de conception, de dessin et de réalisation, et lorsqu'elles se battaient les unes contre les autres, le fait est que les meilleures une fois étaient fréquemment battues par les autres la fois suivante. Les deux écuries se battaient l'une contre l'autre de façon professionnelle et élégante, ils agissaient ainsi contre un environnement de nationalismes agressifs qui finit par conduire à la misère de la guerre. Sans tenir compte du pays pour lequel elles couraient, le spectacle qu'elles assuraient soulevait les foules qui affichaient soit un soutien à Mercedes-Benz ou à Auto-Union ce qui n'avait pas de fondement logique mais ne manquait pas de conviction pour autant.
La seconde moitié de la décennie des années 1930 fut sans nul doute l'une des plus grandes époques du sport automobile, le temps des courses disputées et serrées et d'un développement technologique galopant qui culmina la dernière année avec les automobiles à moteur 3 litres à compresseur deux étages qui atteignaient des vitesses de pointe de 320 km/h. Pendant de longues années on pensait que tous les exemplaires des fabuleuses Auto Union avaient été perdus à jamais mais cette survivante fut sauvée de l'oublie, démonstration grandeur nature de pourquoi ce modèle est considéré l'un plus grand chef-d'oeuvre de tous les temps du design automobile en compétition.
Auto Union - les origines d'une entreprise
Le consortium nommé Auto Union apparut en 1932, réunion de quatre marques : Audi, DKW, Horch et Wanderer, sociétés toutes implantées en Saxe dans la région est de l'Allemagne. Dans le climat de crise économique de l'époque, même si Horch détenait vingt-cinq pour cent du marché des voitures de luxe en Allemagne, qui était assez réduit, son usine ne fonctionnait à moins de la moitié de ses capacités au point que le risque de fermeture existait. DKW souffrait également d'une chute de ses ventes de voitures et de motocyclettes, et Horch, filiale à 100 de DKW produisait à peine.
A la suite de discussions avec la Banque d'état de Saxe, une fusion des trois sociétés fut acceptée en juin 1932 et peu de temps après, le nouveau groupe acquit la société Wanderer. Auto Union adopta comme logo de sa marque quatre cercles mêlés sur une ligne horizontale, une version plagiée des anneaux olympiques. A l'époque de la naissance de cette nouvelle entité, la dette à court terme était de 12.4 millions de Reichmarks et lors de son premier exercice réalisa une perte d'environ un demi million de Reichmarks. Cependant, en moins de deux ans Auto Union réalisa un prodigieux redressement en rationalisant sa gamme de modèles entre ses quatre marques, devenu un puissant consortium employant quelques 25.000 salariés.
Moins de six mois après sa constitution Auto Union décida de se lancer dans la compétition automobile afin de promouvoir ses produits. En octobre 1932 une nouvelle formule de Grand Prix fut annoncée par les instances dirigeantes du sport automobile, l'association internationale des automobiles clubs reconnus, réglementation qui fut appliquée de 1934 à 1936, même si elle fut de fait étendue pour inclure l'année 1937. Sa principale contrainte était la limite de poids des automobiles à 750 kg sans carburant, eau et pneumatiques. On savait qu'avec ce poids maximum limité les moteurs n'allaient probablement pas excéder une cylindrée de 3 litres, ce qui maintiendrait la compétition à un niveau raisonnable, avec des automobiles qui ne seraient pas trop coûteuses à réaliser et de ce fait, plus de firmes en nombre seraient en mesure de construire des automobiles pour participer aux Grand Prix. Comme les évènements le prouvèrent, l'autorité de l'AIACR s'était trompée sur toute la ligne.
Auto Union pouvait décider de se lancer dans la compétition en Grand Prix mais le temps manquait s'ils voulaient participer aux débuts de la nouvelle formule, d'autant qu'ils manquaient des ressources internes pour créer une automobile de premier plan à partir de rien. Cependant, le patron d'Auto Union connaissait Ferdinand Porsche qui avait créé en décembre 1931 un atelier de design et d'ingénierie indépendant à Stuttgart. De nos jours, on ne présente plus le nom de Porsche mais dans les années 1930 il était un designer parmi d'autres de haut niveau en Europe et c'est un exploit de ce point de vue de constater qu'Auto Union ait choisi de le consulter quant à ce problème particulier.
Ferdinand Porsche
Né en Autriche en 1875, Porsche montra très tôt des aptitudes pour la mécanique, développant notamment un intérêt majeur pour l'électricité. Agé de dix-huit ans, il déménagea à Vienne pour travailler pour la société de manufacture des équipements et machines électriques Bela Egger (plus tard Brown Boveri). Il réussit à devenir étudiant à temps partiel à l'université technique de Vienne afin d'augmenter ses connaissance théoriques en plus de ses dons innés de créateur. En moins de quatre ans il devint manager du département des essais et peu après il entra chez Jacob Lohner un carrossier viennois qui souhaitait construire des voitures électriques. Durant son passage chez Lohner Porsche développa un système à pétrole et électricité avec un moteur à combustion interne fournissant l'électricité à des moteurs électriques logés à l'intérieur des roues. Ce système était applicable à des voitures ordinaires mais il prouva par la suite sa valeur pour la motorisation de véhicules de transports lourds sur terrains difficiles. En 1906 Porsche devint le directeur technique de Daimler Autriche et quatre ans plus tard il remporta son premier grand succès international lorsque des automobiles qu'il avait dessinées remportèrent les trois premières places de la Coupe du Prince Henry, un très difficile rallye de 1.920 km au travers de l'Allemagne disputé par les marques leaders européennes de l'époque. Le fait que Porsche conduisait l'automobile victorieuse était un atout supplémentaire.
Après ce succès, Daimler Autriche fit une publicité représentant une photographie du "Directeur-Ingenieur Porsche" qui le décrivait comme : "L'ingénieur le plus efficace d'Europe". A une époque où les constructeurs prestigieux d'automobiles fondaient généralement leur publicité sur la liste de leur clientèle distinguée, le fait qu'un ingénieur atteigne à ce niveau d'exposition et de confiance dans ses réalisations était une nouveauté sans précédent et prouvait que ses capacités créatives et techniques n'étaient pas seulement reconnues par ses employés mais plus encore elles étaient faites pour recevoir une telle publicité.
Porsche demeura chez Austro-Daimler jusqu'en 1923, période pendant laquelle il fut responsable de remarquables moteurs d'avions, d'élégantes automobiles et il reçut en 1917 la distinction d'un doctorat honoraire en ingénierie de l'université technique de Vienne. Cependant, des désaccords avec la direction concernant la politique en matière de compétition le contraignirent à quitter pour rejoindre Mercedes, un constructeur qui possédait une brillante histoire en compétition, à laquelle Porsche souhaitait contribuer. En tant que directeur technique, il rendit victorieux en compétition le huit cylindres en ligne et les automobiles classe S mais il se sentait mal avec la politique générale de la firme qui était devenue Daimler-Benz depuis la fusion de 1926. De la même façon, les directeurs n'apprécièrent pas son éternel désir d'innovation permanente et son contrat ne fut pas renouvelé en 1928. A titre de consolation, il décrocha un second doctorat honoraire, cette fois de l'université technique de Stuttgart.
Un court intermède suivit ensuite avec Steyr en Autriche, mais les secousses du crash financier de Wall Street le contraignirent à rejoindre Austro-Daimler, et Porsche fut de retour là où il avait été avant et où il ne voulait plus être. Il se décida alors à créer sa propre société de consultant et c'est alors que les directeurs d'Auto Union le trouvèrent lorsqu'ils décidèrent de se lancer dans la compétition. Le fait est que le premier projet du "Dr. Ing. Ferdinand Porsche GmbH Konstrukionsbüro" pour donner son nom professionnel abrégé, fut pour la société Wanderer, ce qui rendait la tâche un peu plus facile.
Design et développement de la P-Wagen de Grand Prix
Très vite après que la nouvelle formule de GP fut annoncée, le bureau Porsche développa les plans d'une nouvelle automobile de compétition qui devint sa Type 22, souvent dénommée la P-Wagen, et par la suite Auto Union. En son coeur était installé un moteur seize cylindres en V, la première fois qu'un tel projet moteur fut envisagé pour la compétition, mais ce fut la décision d'implanter le moteur derrière le pilote qui surprit le petit monde de la compétition. Il s'agissait d'un fabuleux et très innovant design, même si cela ne paraît pas révolutionnaire au premier coup d'oeil. Il y avait eu des automobiles de compétition à moteur arrière et d'autres à moteur central depuis les origines du sport automobile mais depuis 1900 aucune marque qui prétendait s'engager sérieusement pour finir placée en courses plaçaient le moteur où il devait être : à l'avant du châssis. Arriva l'année 1923 et Benz non encore marié avec son rival Mercedes choisit une nouvelle approche de la compétition, sous l'inspiration des travaux du Dr. Edmund Rumpler, constructeur d'avions et d'automobiles. Il avait construit en quantité limitée des automobiles à moteur arrière avec des suspensions arrière indépendantes et des carrosseries profilées dont les plans de profile ressemblaient à une goutte d'eau. Baptisées en allemand Tropfen-Auto (autos en goutte) elles devinrent bientôt les "Tropfenwagens". Benz acquit la licence auprès de Rumpler et construisit des automobiles six cylindres 2 litres à double arbres à cames en tête dotées de carrosseries profilées.
Trois "Tropfenwagens" Benz disputèrent le GP d'Italie à Monza en 1923 et bien que l'une abandonna les deux autres terminèrent aux quatrième et cinqième place, plusieurs tours derrière le trio des leaders équipées de compresseurs. A cette époque l'inflation ravageait l'Allemagne et même la firme bien établie Benz devait être très prudente si elle voulait survivre, et la compétition automobile était une frivolité dont elle n'avait pas besoin. Plusieurs Tropfenwagens furent produites pour la compétition et participèrent à des courses de côtes pilotées par Willy Walb, qui devint plus tard le manager en chef de l'écurie Auto Union. Une autre était la propriété d'Adolf Rosenberger, l'homme dont le soutien financier permit à Porsche de créer son Konstruktionsbüro et qui dirigea la partie commerciale à ses débuts.
Original ou pas, ce concept convenait à Porsche et son équipe d'ingénieurs reprit très rapidement le concept de la P-Wagen. Non seulement l'implantation du moteur à l'arrière du châssis, mais le réservoir de carburant était installé juste derrière le pilote ; Porsche ayant raisonné que la quantité de fuel diminuant pendant la course les caractéristiques de tenue de route ainsi ne changeraient pas. Le châssis était assez rudimentaire avec deux tubes parallèles de large diamètre de chaque côté, des suspensions indépendantes avant et arrière, avec barres de torsion à l'avant et des essieux à balancier à l'arrière. Dans ce châssis était installé le moteur compact seize cylindres en V à 45 degrés, 4,4 litres, avec simple arbres à cames en tête qui commandait 32 soupapes produisant une puissance de 290 CV à 4.500 tr/min. Au commencement, la conception était comme un bloc fiable et solide avec une courbe de couple très large. Malgré tout il entraînait une boîte de vitesses à cinq rapports située à la pointe arrière de l'automobile, et ensuite le différentiel à glissement limité. L'automobile était habillée d'une carrosserie aérodynamique, une attention considérable ayant été portée sur les flux d'air, comme par exemple l'air qui traversait le radiateur à l'avant était canalisé avec soin pour ressortir par trois orifices de la carrosserie, et non pas livré à lui-même pour trouver la sortie.
Porsche avait une telle confiance dans le design qu'il avait contacté une autre société qui pourrait en cas de besoin construire et faire courir les automobiles. Lorsque les représentants d'Auto Union vinrent frapper à sa porte, cela ne s'avéra pas nécessaire. Pour le prix de 75.000 Reichmarks, Auto Union acquit la conception de son automobile de compétition et le Dr. Porsche fut engagé comme consultant pour superviser le projet.
C'est à ce moment qu'un autre personnage entre en lice : le chancelier allemand. A l'ouverture du salon de Berlin, le 11 février 1933, il annonça ses attentes en matière automobile, y-compris la construction d'autoroutes mais aussi sa passion pour le sport automobile. Mercedes-Benz annonça presque immédiatement son intention de revenir à la compétition et le gouvernement, à savoir chancelier lui-même en personne fut sollicité pour fournir une aide d'état destinée à financer ce projet. Lorsque Auto Union eut vent de l'affaire, une délégation sous la direction du Dr. Porsche et du pilote Hans Stuck rencontra Hitler pour lui demander que leur écurie puisse également bénéficier de cette subvention. Le chancelier accepta, mais la somme prévue à l'origine resta la même à partager entre Mercedes-Benz et Auto Union. Cela ne représentait que 10 des coûts annuels totaux de l'écurie Auto Union et une plus petite fraction encore pour Mercedes-Benz capable de dépenser à profusion. Cela permettait à l'Allemagne d'avoir deux constructeurs qui pourraient en découdre avec les autres et assurer que les courses ne soient pas monotones, ce qui pourrait soulever les foules. Le fait qu'il y ait eu des primes à la victoire et aux bons résultats contribua à créer davantage encore d'émulation entre les deux marques à chaque épreuve.
Les Auto Union V16 en compétition
Au début de la saison 1934, lorsque le montage fut terminé, Auto Union était prêt à attaquer la compétition. Le problème majeur de l'écurie ne concernait pas les automobiles, mis à part quelques problèmes inévitables de jeunesse, mais beaucoup plus de trouver des pilotes capables d'exploiter le potentiel des monoplaces. Le pilote principal était Hans Stuck, qui entre autres, possédait un nombre de victoires record dans les courses de côte disputées sur le continent bien que les autres pilotes de l'écurie, le Prince Hermann zu Liningen et Auguste Momberger n'étaient pas du même calibre que lui. Stuck démontra le potentiel de l'Auto Union en remportant le record de l'heure sur la piste de l'Avus en mars 1934 à la moyenne de 215 km/h mais il fallut attendre le GP d'Allemagne au Nürburgring en juillet avant qu'il ne remporta la première victoire pour Auto Union. Stuck fut traité comme un héros national, son statut se renforça et ne fit que grandir avec deux autres victoires au cours de l'année.
Au début de la saison 1935, les moteurs des Auto Union développaient une cylindrée de 4,95 litres avec une puissance de 375CV. Cette monoplace améliorée était répertoriée Type B. De nouveaux pilotes furent recrutés avec le soutien de Stuck, aux côtés de l'ancien champion italien Achille Varzi, célèbre pour sa maîtrise du pilotage et son habileté à contrôler une monoplace. Ils furent également rejoints par un tout nouveau pilote issu de l'écurie moto DKW : Bernd Rosemeyer. Varzi remporta deux courses au cours de la saison, Stuck une, mais l'exploit vint de Rosemeyer lorsque, durant sa seconde course il manqua de remporter la course de l'Eiffelrennen sur le Nürburgring, battu de 1.9 secondes par la Mercedes-Benz de Rudolf Caraciola, prouvant de cette façon que malgré son manque d'expérience, ses talents de pilote étaient incontestables. Sa première victoire vint trois mois plus tard au GP Marasyk à Brno en Tchécoslovaquie. Auto Union avait une nouvelle vedette.
L'ultime Auto Union V16, la Type C, fut prête pour la saison 1936 qui débuta par un record battu sur une portion d'autoroute entre Francfort et Heidelberg lorsqu'une vitesse de pointe de 312 km/h fut atteinte. Ce jour là, l'automobile avait une carrosserie aérodynamique équipée d'un moteur 6.01 litres développant une puissance de 520 CV à 5.000 tr/min. Sans carrosserie fermée et avec une vitesse de pointe de seulement 280 km/h, avec de meilleures accélérations, l'Auto Union Type C continua à courir la saison 1936 et Rosemeyer remporta cinq victoires contre une pour Varzi. Avec l'extension en 1937 de la formule 750 kg, les Type C continuèrent leur carrière et Rosemeyer remporta quatre courses importantes au cours de l'année tandis que le héros Rudi Hasse remporta brillement le GP de Belgique car Rosemeyer voyageait, rentrant des Etats Unis où il venait de remporter la Coupe Vanderbilt à Long Island. Lorsque la saison sur circuits fut terminée, Auto Union et Rosemeyer décidèrent de battre un record sur l'autoroute entre Francfort et Darmstadt. Avec une carrosserie aérodynamique et un moteur de 6.300 cm3 le record du kilomètre lancé et du mile lancé de la classe internationale C (de 5 à 8 litres) fut battu à 406.3 km/h.
Laurence Pomeroy, l'excellent observateur dans son monumental ouvrage The Grand Prix Car 1906-1939 écrit : "La conception générale, tant au niveau du châssis que du moteur, malgré le moteur 16 cylindres relevait d'une totale simplicité qui suscitait l'admiration." Cependant, à cause du moteur central et du poste de pilotage avancé, quelques critiques à l'époque circulaient sur le fait que les Auto Unions étaient particulièrement difficiles à piloter. Cette réputation ne fut jamais totalement démentie, mais les résultats des V16 obtenus de 1934 à 1937 avec dix-neuf victoires en quarante-six courses, ajoutée à de nombreux succès en courses de côte, prouvent que les Auto Unions n'étaient pas des aberrations techniques comme le pensaient les inconditionnels du moteur avant. Il est exact qu'en raison du pont arrière suspendu les V16 avaient une tendance marquée au survirage mais les pilotes qualifiés remportaient les victoires bénéficiaient d'une fabuleuse finesse de contrôle, capables d'exploiter pleinement le potentiel des automobiles.
Vitesse tragique
Le 28 janvier 1938, une Auto Union Type C, dotée d'une nouvelle ligne fut pilotée sur la portion d'autoroute entre Francfort et Darmstadt pour défendre les records de vitesse que ses rivales essayaient de lui ravir. Dans le petit matin calme, Caraciola avait roulé sur la Mercedes-Benz à plus de 435 km/h tandis que lors des essais avec une météo moins bonne, Rosemeyer avait atteint 428 km/h. Persuadé qu'il pourrait aller plus vite afin de reprendre le record, et qu'il serait capable de conserver le contrôle de l'automobile malgré le vent, Rosemeyer tenta à nouveau. Il atteignit la vitesse voisine du record lorsque passant à côté d'un creux dans la forêt, une rafale de vent latérale lui fit quitter sa trajectoire et malgré une rapide réaction de Rosemeyer, il perdit le contrôle. Le crash fut terrible, le pilote tué sur le coup.
Dans son ouvrage Motor Racing with Mercedes-Benz publié en 1938, George Monkhouse a passé la saison précédente, comme l'indique le titre de son livre, au sein du monde automobile et il écrit : "Bernd Rosemeyer peut être considéré comme le pilote le plus rapide à ce jour dans le monde. Il possède la plus attachante et dynamique des personnalités, les foules allemandes se soulevant devant sa jeunesse, sa beauté, son allure impétueuse et sans peur." Il n'est pas surprenant que la mort de Rosemeyer ait choqué non seulement le monde de la compétition mais aussi tous ceux qui admiraient ses talents.
En plus de la terrible perte ayant frappé sa femme et son fils, ce fut un coup sévère porté à l'écurie qui s'était toujours battu contre le prix à payer au sport automobile au point qu'un retrait de la compétition fut sérieusement envisagé. De plus, le Dr. Porsche n'étant plus impliqué dans le projet, étant occupé au développement de la Volkswagen et ayant manqué rejoindre Mercedes-Benz une nouvelle fois encore pour concevoir une automobile capable de battre le record du monde de vitesse sur terre.
La situation côté pilotes était également délicate. Hans Stuck avait été congédié de l'écurie, soupçonné d'avoir révélé à Rosemeyer qu'il gagnait plus que lui la jeune star, Varzi avait prit sa retraite provisoirement victime d'une addiction à la morphine, tandis que son jeune compatriote italien qui avait rejoint l'écurie Auto Union au début de l'année 1937 après une période de succès avec Mercedes-Benz ne pouvait pas poursuivre la compétition en raison d'une maladie dont il souffrait. Rudi Hasse se retira, lui-même souffrant. Le champion de moto Hermann Müller le champion en 1937, continuait à piloter une automobile avec talent. Heureusement, Auto Union parvint à convaincre le grand Tazio Nuvolari de prendre la direction de l'écurie. Nuvolari aimait la compétition par-dessus tout mais il savait très bien que s'il était parvenu à mettre en péril les automobiles allemandes avec des Alfa Romeo pourtant dépassées, ce fut au prix d'efforts surhumains et il n'y était plus parvenu depuis 1936.
Auto Union Type D V12
En septembre 1936, l'AIACR annonça que la formule qui prévaudrait pour les saisons de Grand Prix de 1938 à 1940 consistait à faire un lien entre le poids minimum et la cylindrée maximale des automobiles. Les moteurs les plus importants autorisés étaient de 3 litres avec compresseur ou de 4,5 litres atmosphériques, et les automobiles équipées de ces moteurs devaient peser moins de 850 kg au total avec leurs jantes et leurs pneus, mais sans le carburant et le liquide de refroidissement.
Auto Union répondit à cette nouvelle réglementation en développant une nouvelle automobile. Celle-ci gardait encore les concepts fondamentaux des modèles V16 mais fut redessinée par une équipé sous la houlette du directeur d'Auto Union, le Dr. Werner, assisté par les ingénieurs Karl Feuereissen, Oskar Siebler et le professeur Robert Eberan von Eberhost. Cette Type D était équipée d'un douze cylindres en V de 3 litres avec compresseur. Afin de récupérer le maximum de puissance l'angle entre les deux bancs de cylindres fut augmenté de 45 à 60 degrés. De ce fait, il n'était plus possible d'utiliser l'arbre à came central pour commander les soupapes, mais il fut conservé pour commander les soupapes d'admission tandis qu'un arbre à cames à l'extérieur de chaque bloc fut installé pour commander les soupapes d'échappement.
Ce moteur était conçu pour produire une puissance augmentée de façon significative aux environs de 420 CV à 7.000 tr/min. Le moteur fut installé dans un châssis d'un type similaire au précédent mais la suspension arrière avait été transformée en profondeur. Le pont arrière fut abandonné au profit d'un pont DeDion avec une barre latérale Panhard. Ces deux équipements avaient été inventés aux origines même de l'automobile, mais le pont DeDion avait été ré utilisé par Mercedes-Benz seulement en 1936 et s'était avéré très efficace. L'Auto Union Type D était plus simple et de ce fait moins coûteuse. La question des coûts a toujours été importante dans la conception des Auto Union car la firme ne bénéficiait pas des ressources quasi illimitées de leur concurrent Mercedes-Benz à Stuttgart.
La décision fut alors prise de reculer le poste de conduite dans le châssis et ainsi le réservoir de carburant derrière le siège fut supprimé et remplacé par des réservoirs paniers respectant ainsi l'idée de ne pas modifier l'équilibre de l'automobile au fur et à mesure que le carburant était consommé pendant la course. La suspension fut modifiée afin d'améliorer les qualités de sous virages de l'automobile ce qui la rendait moins exigeante à piloter et sur la piste, elles n'étaient pas moins rapides que les modèles précédents. Néanmoins, 1938 fut une mauvaise année pour Auto Union et c'est seulement en fin de saison que Nuvolari fut en mesure de remporter deux victoires pour l'écurie, au GP d'Italie à Monza et au GP de Grande Bretagne sur le circuit de Donnington.
La Type D dans sa forme finale apparut en 1939, équipée d'un compresseur à deux étages qui comprimait le mélange air/carburant par étapes progressives, augmentant l'efficacité du moteur et réduisant la perte de puissance dépenser à entraîner un compresseur simple. Tournant toujours à une vitesse maximale de 7.000 tr/min, la puissance était de 485 CV, donc augmentée de 65 CV, atteignant une vitesse de pointe sur circuit de 312 km/h.
Lors d'une saison inévitablement interrompue par la guerre, et avec Hermann Lang au sommet de sa forme chez Mercedes-Benz, Auto Union parvint à remporter deux courses majeures, la première étant le GP de France à Reims où Müller remporta les honneurs. Ensuite, le 3 septembre, trois jours seulement après que l'Allemagne ait envahi la Pologne et déclenché la seconde guerre mondiale, Nuvolari remporta le GP de Yougoslavie sur le délicat circuit de Belgrade, dérapant sur les pavés dans un style affolant, refermant ainsi le rideau sur une période mouvementée et spectaculaire de la compétition automobile.
Les automobiles perdues
Après la défaite de l'Allemagne en 1945, un état de chaos régnait sur le pays alors divisé entre les forces alliées, les américains, les anglais, les français et les russes, en quatre zones, la zone Est dont la Saxe, supervisée par les russes fut baptisée Zone Russe. Les alliés étaient ravis d'apprendre autant que possible au sujet des industries de Haute Technologie allemande, surtout l'aviation et les missiles et la plupart du matériel. La majorité des ingénieurs et des scientifiques allemands de ces régions allèrent vers l'est ou vers l'ouest. L'URSS qui avait perdu plus de 20 millions de citoyens dans la guerre était sans doute sans surprise l'une des nations les plus rapaces dans le démantèlement et le rapatriement vers la mère patrie de toutes les technologies. Parmi les sujets qui furent rapatriés en Russie, il y avait environ une trentaine d'automobiles de compétition sachant que dans le contexte de cette époque, il s'agissait d'un sujet important. Moins d'un an plus tard, à la fin de la guerre en Europe, le rideau de fer allait être baissé sur le continent et la guerre froide qui allait durer pas loin de 50 années, était donc à l'aube de commencer.
Pour les passionnés de compétition, la disparition des Auto Union fut un sujet de tristesse et ils durent se contenter de photographies, d'écrits, et de modèles réduits Dinky Toys, évoquant l'allure et le style de ces légendaires automobiles de compétition. Pendant des années, le seul exemplaire connu était une V16 d'avant-guerre préparée pour une exposition et visible au Deutsche Museum de Munich. Elle fut probablement restaurée sur commande d'Audi par l'usine NSU en 1979/1980 mais elle resta exposée à Münich.
A partir des années 1960, comme le souci de savoir ne cessait de croître, d'importants efforts furent développés pour savoir ce qu'il était advenu des autres automobiles. Il s'avéra que les autorités russes semblaient quelque peu incertaines à savoir pourquoi elles possédaient ces autos, et qu'elles avaient distribué ces automobiles aux Instituts Technologiques ainsi qu'à des usines automobiles, et même, paraît-il à une usine de fabrication de tracteurs. Elles avaient été dispersées au travers de l'URSS comme objet possibles d'étude et non pas comme source d'émulation.
En 1974, une Auto Union Type D de 1938, privée de la plupart de ses composants mécaniques fut découverte en Tchécoslovaquie, réputée " libérée " lorsque le train transportant le stock entier d'automobiles traversa le pays en 1945. Un moteur de 1939 fut localisé en Europe de l'Est et l'automobile fut restaurée par les spécialistes de Crosthwaite & Gardner dans le Sussex, en Angleterre. Elle fut alors utilisée pendant des années lors de courses historiques par un anglais passionné avant de disparaître dans une collection en Asie.
Au début des années 1970, le monde de l'automobile ancienne fut informé de la découverte d'une V16 à Riga en Lettonie. On pense qu'il s'agissait d'une Type C version course de côte, hors d'état de marche qui avait été gardée des années à Moscou et fut sauvée par un passionné estonien juste avant qu'elle ne soit découpée pour être ferraillée. Elle fut alors exposée dans un musée de Riga. Audi acheta l'automobile au début des années 1990 et la restaura tout en réalisant une copie pour son musée.
Au début des années 1980, Paul Karassik un collectionneur américain, d'origine russe et qui nourrissait une passion pour les Auto Unions de Grand Prix avait vu l'automobile de Riga et il se décida à faire des recherches quand aux rumeurs concernant d'autres automobiles qui auraient survécu et dont il avait entendu parler lors de ses visites en Russie. L'histoire est racontée par Doug Nye dans le magazine Classic and Sportscar en 1994 et cela ressemble à la fois à une enquête de Sherlock Holmes et à l'une des aventures cinématographiques de l'aventurier Indiana Jones. Une automobile de 1938 équipée d'un compresseur à simple étage fut d'abord retrouvée près de Leningrad, ayant été démontée et le châssis coupé à la moitié pour en faire une remorque. Karassik et sa femme Barbara qui avaient passé son enfance en Saxe purent acquérir des pièces et les faire sortir de Russie via la Finlande avant de les envoyer aux Etats Unis.
Le couple localisa une autre Type D avec compresseur deux étages à Kharkov en Ukraine, l'une parmi deux, ou peut être même trois, qui avaient été confiées à l'institut de technologie local. L'histoire rapporte que peu de temps après que l'une des automobiles fut arrivée l'équipe étant incapable de démonter l'engin, ne possédant pas les outils nécessaires l'avait tout simplement coupée en deux pour voir comment ça marchait. Cette automobile échappa à une totale disparition, ses pièces principales ayant été en majorité démontées. Après avoir rempli les formalités nécessaires, toutes les pièces à l'exception de la carrosserie qui n'était plus récupérable, furent transportées à travers la Russie jusqu'en Finlande puis vers les Etats Unis.
Pendant une période d'environ trois ans, les deux automobiles furent restaurées par Crosthwaite & Gardner, celle à compresseur mono étage de 1938, châssis no.19 équipée d'un moteur no.11 fut acquise ensuite par Audi.
L'automobile de 1939 à compresseur à deux étages fut retrouvée en Ukraine est restée la propriété d'un collectionneur privé avant d'être proposée aujourd'hui ici à la vente.
Auto Union Type D, 1939, numéro de châssis 21, numéro moteur 37
Spécifications techniques :
Moteur : 12 cylindres en V à 60 degrés, avec double bloc en alliage de siluminium (silicon-aluminium) avec chemises humides et têtes de cylindres démontables en alliage. Deux soupapes par cylindre commandées par un simple arbre à cames commandant les soupapes d'admission et un simple arbre par banc de cylindres commandant les soupapes d'échappement, commandé par arbres verticaux et boîte de renvoi. Un vilebrequin modèle Hirth tournant sur sept paliers, bielles forgées avec gros et petits roulements et pistons en alliage Mahle. Pompe de lubrification avec radiateur frontal à l'avant. Allumage par double magneto avec une bougie par cylindre. Compresseur Roots à deux étages.
Dimensions : course x alésage : 65x75mm, 2.986 cm3.
Puissance : 485 CV à 7.000 tr/min.
Transmission : embrayage à plateau, boîte de vitesses cinq vitesses montée à l'arrière, pont arrière avec différentiel à glissement limité ZF et changement de vitesse à main droite.
Châssis : châssis tubulaire avec poutres parallèles utilisant le moteur comme partie constituante. Suspension avant indépendante avec deux bras tirants et barres de torsion transversales, amortisseurs hydrauliques. Pont arrière DeDion avec arbres de transmission visibles et joints, maintien latéral par barre Panhard, barres de torsion transversales, amortisseurs hydrauliques et à friction. Freins : diamètre 400x50mm. Jantes à moyeu Rudge équipées de Dunlop 19x6 à l'avant et 19x7 à l'arrière. Direction par vis et galet avec bras tirants séparés, approximativement un tour de bout en bout, volant démontable. Empattement : 2,77m ; Voie : 1,42m ; Longueur totale : 4,20m.
Carrosserie : monoplace aluminium, peinture grise.
A la lecture des comptes rendus de courses d'avant guerre, un fait revient toujours à savoir que les spectateurs étaient subjugués par l'allure et la musique des Mercedes-Benz et des Auto Union de compétition. Ils étaient fascinés par les performances de ces puissantes machines. Le rédacteur de ce descriptif rapporte qu'il vit en premier la carrosserie argentée, de l'aérodynamique Auto Union un jour de brume dans une rue de Londres avec des bus rouges et des taxis noirs passant, fasciné par la présence de cette automobile devenue comme un précieux joyau, le centre de toutes les attentions, une situation incongrue dans le trafic de la vie quotidienne tout autour. Lorsque le capot moteur est retiré une fabuleuse mécanique est exposée, beauté issue de la fonction et de la forme. Cette Auto Union possède quelque chose comme une bête fabuleuse de la mythologie comme la rencontre d'une licorne et après l'avoir vue, on se demande toujours après, si cela s'est vraiment produit.
Et l'on peut imaginer combien il aurait été fabuleux si davantage d'humains avaient conçu, construit et piloté de telles fabuleuses créations. Cette automobile a été pilotée, elle a subi quelques 50 années d'hibernation, a été ensuite retrouvée miraculeusement et restaurée à la perfection par des professionnels talentueux.
Les ingénieurs Auto Union ont construit l'automobile en 1939, et les archives de l'écurie préservée à Dresde par le professeur Peter Kirchberg prouvent que cette automobile a bien été pilotée par Hermann Müller au GP de France 1939 à la moyenne de 169,38 km/h. Paul Karassik et son épouse l'ont recherchée et l'ont sauvée. Crosthwaite & Gardner et leurs équipes d'ingénieurs qualifiés l'ont ramenée à la vie et l'habile carrossier Keith Roach l'a rhabillée dans sa carrosserie lisse en aluminium.
Dick Crosthwaite eut l'occasion de piloter l'automobile le 1er Octobre 1994 sur le Nürburgring, peu de temps après que la restauration fut achevée. Ses commentaires ont été rapportés dans Classic and Sportscar et il conclut : "L'automobile à compresseur simple étage est des plus agréable à piloter mais c'est bien celle à deux étages que l'on ressent comme un bête de course. J'aimerai bien voir un véritable pilote utiliser l'une de ces automobiles totalement : leur vrai potentiel ne fut jamais atteint à cause de l'arrivée de la guerre. Il n'y a que des photographies de cette V12 lors de courses historiques. C'est une vision à voir, un son à entendre."
Principales sources de référence
Bamsey, Ian: Auto Union V-16 Supercharged - A Technical Appraisal; Foulis, 1990
Beinhorn Rosemeyer, Elly, & Nixon, Chris: Rosemeyer!; Transport Bookman Publications, 1986
Cohin, Edmond : L'Historique de la Course Automobile 1894-1965; Paul Couty, 1966
Earl, Cameron C: An Investigation into the Development of German Grand Prix Racing Cars between 1934 and 1939; His Majesty's Stationery Office, 1947
Frankenberg, Richard von: Porsche - The Man and his cars; G T Foulis, 1954
Molter, Günther & Wörner, Kurt: German Racing Cars and Drivers;Clymer, 1950
Monkhouse, George: Motor Racing with Mercedes-Benz; George Newnes, 1938
Norbye, Jan P; The Complete History of the German Car, Chapter: 'The four rings of Auto Union'; Portland House, 1987