Lot Essay
Véritable redécouverte, ce cabinet témoigne du génie du plus grand créateur du Grand Siècle : André-Charles Boulle. Seuls quatre autres cabinets comparables sont connus et sont aujourd’hui conservés au musée du Getty, à la Wallace Collection et deux à Drumlanrig Castle en Ecosse. Opportunité pour se replonger dans les premières années de création extraordinaire de Boulle, ce cabinet, véritable tour de force, nous rappelle la haute technicité du “plus habile de Paris dans son métier” que le puissant Jean-Baptiste Colbert n’avait pas hésité à souligner auprès du roi Louis XIV.
ANDRE-CHARLES BOULLE (1642-1732)
Son père Johan Bolt (né en 1610) originaire du Saint Empire romain s’installe à Paris avant 1637 comme compagnon menuisier en ébène. Il francise par la suite son nom en Bould puis Boulle. André-Charles naît le 10 novembre 1642, son appétence pour le dessin, la gravure, la ciselure et la peinture est vite reconnue. Il est reçu maître ébéniste avant 1666.
« Annoncer les ouvrages de Boulle, c'est citer les meubles des plus belles formes et de la plus grande richesse... rien jusqu'à présent n'a remplacé ce genre de meubles... L'on connaît le caractère de magnificence qu'il donne aux cabinets de curiosité, où il occupe toujours les premières places". Plus de deux cents ans plus tard, les mots employés par l’incontournable marchand d’art Jean-Baptiste Lebrun (1748-1813) à propos d’André-Charles Boulle ont une portée intacte.
Retracer le parcours de Boulle c’est rappeler que grâce au privilège royal d’« Ebéniste et marqueteur ordinaire du roi » qu’il se voit octroyer par la reine le 20 mai 1672 conjointement à son logement aux galeries du Louvre, il se voit le droit de réaliser dans son atelier, aussi bien l’ébénisterie que les bronzes en dépit des règles corporatives et ce jusqu’à la fin de sa vie.
L’atelier de Boulle est conséquent et malgré le logement au Louvre accordé en mai 1672, il est établi dans sa plus grande partie sur la rive gauche, pour se voir étendu à deux autres maisons entre 1673 et 1676 rue de Reims. Ce n’est que l’année suivante que Boulle installe définitivement son atelier au Louvre sur trois étages du corps principal - correspondant aujourd’hui à l’escalier de la Victoire de Samothrace - en plus de son logement de la Grande Galerie encore augmenté de deux étages en 1679.
Ce double privilège lui permet ainsi de mettre en avant ses nombreux talents que ce soit en techniques qu’en création de nouvelles formes, à l’instar de la commode.
Parler des œuvres de Boulle c’est en quelque sorte parler d'œuvres vivantes ; que ce soit les bronzes par leur traitement en ciselure que les tableaux de marqueterie, ces œuvres sont en quelque sorte animées d’un souffle de vie que tout amateur ou néophyte peut remarquer et admirer.
SA CLIENTÈLE
Sa clientèle est prestigieuse et compte parmi elle les Bâtiments du roi, la reine, le Grand Dauphin, la duchesse de Bourgogne. Cependant ce n’est qu’à partir de 1700 qu’il livre au roi son premier meuble, une armoire pour Marly - Louis XIV étant déjà bien entouré des meubles d’apparat de Cucci, Gole et Gaudron.
Les premiers meubles de Boulle à destination royale sont donc dans un premier temps pour la reine et le Grand Dauphin pour qui il réalise en 1683 son chef-d’œuvre : un décor en marqueterie pour les parquets et lambris de son appartement pour Versailles, pour la somme de 100.000 livres.
Ainsi, l’activité principale de Boulle entre 1672 et 1714 consiste à fournir les Bâtiments du roi en parquets de marqueterie, en bronzes dorés et une rare vingtaine de meubles. Le talent d’André-Charles Boulle dépassant par ailleurs les frontières, il fournit également Philippe V roi d’Espagne et l’Electeur de Cologne.
La clientèle d’André-Charles Boulle n’est cependant pas que royale puisqu’elle comprend pour une large part des financiers, ministres et hauts fonctionnaires qu’Alexandre Pradère a listés dans son ouvrage (Op. cit., p. 70), parmi eux citons : Pierre Croizat (1665-1740), Antoine Crozat (1655-1738), Pierre Thomé (1649-1710) l’un de ses plus grands clients et créanciers), Etienne Moulle (mort en 1702) grand collectionneur, Pierre Langlois (mort en 1719), le ministre Louvois (mort en 1693), Moyse-Augustin de Fontanieu (mort en 1725) intendant du Garde-Meuble royal après 1711, ou encore le cardinal de Rohan (1674-1749).
Son atelier repris par ses fils en 1715 continuera à livrer quelques pièces à la Couronne avant le malheureux incendie de l’été 1720 engloutissant alors le stock.
LES CABINETS SUR PIÈTEMENT À FIGURES ET À MARQUETERIE FLORALE
Armoires hautes et armoires basses, bibliothèques hautes et bibliothèques basses, bureaux plats, cartonniers, coffres, commodes, gaines, guéridons, médailliers, miroirs, tables consoles, consoles, tables composent la production de meubles de l’atelier de Boulle aux côtés des cabinets. Tous ces meubles sont alors déclinés en plusieurs versions.
TYPOLOGIE
Il est pertinent de reprendre la typologie qu’a établie Alexandre Pradère (Op. cit., p. 104): les cabinets sur piètement représentant Hercule et Hippolyte, les cabinets à marqueterie florale, les cabinets à dôme, puis les petits cabinets bas ornés de médailles et pattes de lion et enfin les cabinets sur piètement.
Ici, le cabinet Aga Khan étant sur piètement, intéressons-nous à ceux-ci.
La première catégorie, les cabinets sur piètements représentant Hercule et Hippolyte comprend :
- le cabinet daté vers 1675-1680 du musée Getty (inv. 77.DA.1) ;
- l’un des deux cabinets du château de Drumlanrig de la collection du duc de Buccleuch, réalisé vers 1675-1680.
La seconde catégorie, les cabinets en marqueterie de fleurs, est constituée quant à elle:
- du cabinet de la Wallace Collection vers 1670-75 (inv. F 16) ;
- du cabinet (aujourd’hui sans piètement) conservé au musée de Cleveland (inv. 1949.539) ;
- du second cabinet du château de Drumlanrig de la collection du duc de Buccleuch;
- du présent cabinet de la collection Aga Khan ;
- du cabinet (aujourd’hui sans piètement) conservé au musée du château de Versailles et de Trianon (inv. V4653).
Après avoir écarté les cabinets de Cleveland et de Versailles de par l’absence de leur piètement, le cabinet Aga Khan est donc à rapprocher des quatre seuls cabinets toujours dans leur configuration originale : le cabinet du Getty Museum, les deux cabinets de Drumlanrig et celui de la Wallace collection, que nous allons détailler un par un.
LE CABINET “HERCULE ET HIPPOLYTE” DU JOHN PAUL GETTY MUSEUM, LOS ANGELES (INV.77.DA.1)
Le cabinet du musée du J. P. Getty a été réalisé dans les années 1675-1680. Il présente en façade un vantail et dix tiroirs. Ses dimensions sont importantes (229 x 151 x 66,7 cm.). Les marqueteries emploient des bois couramment utilisés par l’atelier de Boulle sur fond d’ébène en plus de l’écaille de tortue, de l’étain, de la corne et de l’ivoire (sur les côtés pour ce dernier).
La frise en partie haute présente un décor de fleurs de lys. Et le revers du vantail est orné d’un vase fleuri posé sur un entablement.
Le piètement est à degré, une sorte de marchepied, avec à gauche Hercule vêtu de la peau du lion de Némée et Hippolyte, à droite, tous deux soutenant la partie haute du cabinet.
Pendant longtemps, on a identifié le couple Hercule et Omphale en référence à leur victoire sur les deux Cercopes d’Ephèse (troisième travail d’Hercule) et plus largement sur la protection de l’Asie mineure par Hercule ordonnée par la reine Omphale. Aujourd’hui on assimile ce couple à celui d’Hercule et Hippolyte.
Ces deux figures sont aujourd’hui relaquées crème et partiellement dorées. En effet, au moment de l’acquisition du cabinet par le Getty en 1977, les figures étaient laquées brun et partiellement dorées.
Une mauvais interprétation d’analyses scientifiques de l’époque a alors conduit à penser que les figures étaient laquées à l’origine blanc à l’imitation du marbre. Ainsi, dans une logique de retour à l’état initial de l’œuvre, la décision a été prise de relaquer blanc et dorer Hercule et Hippolyte. Cependant, des prélèvements d’échantillons sur son pendant conservé à Drumlanrig Castle ont attesté ultérieurement que le couple Hercule-Hippolyte était bien laqué brun et or à l’origine (A. Heginbotham, V. Millay, M. Quick, "The use of immunofluorescence microscopy and enzyme-linked immunosorbent assay as complementary techniques for protein identification in artists' materials" in Journal of the American Institute for Conservation, juin 2006).
Comme l’ensemble de ces cabinets, on ignore la provenance originale. Même si on peut déplorer l’absence d’inventaires ou plus largement d’écritures on peut esquisser l’idée qu’ils aient pu quitter assez rapidement la France, les mettant à l’abri des changements de mode et donc d’un démantèlement irréversible. Dans le cas du cabinet du Getty, l’historique à partir du XIXe siècle est cependant précis. Ce cabinet a appartenu à William Humble, 11e baron Ward (1817-1885) fait 1er comte de Dudley en 1860. Le cabinet est alors exposé à Witley Court, Worcestershire, propriété acquise avec son mobilier en 1838 auprès de Lord Foley. Puis par succession, le cabinet est transmis à William Humble, 2nd comte de Dudley (1867-1932), toujours à Witley Court, Worcestershire qu’il vend vers 1920 avec la propriété. Le cabinet rejoint ainsi les collections de Sir Herbert Smith et est vendu par Jackson-Stops & Staff, Witley Court le 29 septembre 1938, lot 582. Il appartient ensuite à Violet van der Elst pour Harlaxton Manor, Lincolnshire et est vendu par Christie’s, Londres, le 8 avril 1948, sous le lot 142 où il est acquis par John Prendergast, 6e vicomte Gort, pour Hamsterley Hall, County Durham puis acheté en 1977 par le musée J.P. Getty.
Le cabinet entier de par son décor célèbre les victoires de Louis XIV. On retrouve sur le vantail la France triomphant sur l’Espagne et le Saint Empire Germanique personnifiés par le coq debout face au lion et l’aigle, faisant ainsi probablement référence à la signature des deux traités de paix de Nimègue mettant fin à la guerre de Hollande. Ils sont respectivement signés par la France avec l’Espagne le 17 septembre 1678 puis avec le Saint-Empire le 5 février 1679.
Le couple Hercule / Hippolyte fait référence quant à lui au huitième travail d’Hercule, à savoir dérober la ceinture d’Hippolyte la reine des Amazones. Par une manipulation machiavélique de la stratège Héra, Hippolyte est tuée par Hercule, alors qu’elle avait accepté de lui offrir sa ceinture après être tombée sous le charme du demi-dieu.
Enfin on retrouve ce thème à travers l’emploi du trophée militaire encadrant la médaille de Louis XIV en armure.
LE PREMIER CABINET “HERCULE ET HIPPOLYTE” DE DRUMLANRIG CASTLE, ECOSSE (COLLECTION DU DUC DE BUCCLEUCH ET QUEENSBERRY)
La collection du duc de Buccleuch conserve dans son somptueux château écossais dans la région du Dumfrieshire, le château de Drumlanrig, deux cabinets d’André-Charles Boulle: l’un en pendant avec celui du Getty Museum, l’autre très proche du présent cabinet Aga-Khan et de celui de la Wallace Collection.
On aperçoit le premier cabinet de la collection de Drumlanrig sur une ancienne photographie du Drawing-room du premier étage.
Réalisé également dans les années 1675-1680, il présente des dimensions importantes (224,7 x 147 x 60 cm.) mais est légèrement plus petit que celui du Getty.
Moins de détails sont connus mais le vantail central est flanqué de part et d’autre de dix tiroirs. On retrouve la même frise de fleurs de lys en partie supérieure, le même vase fleuri posé sur un entablement au revers du vantail, le même piètement à marchepied composé des figures d’Hercule et Hippolyte, toujours laquées brun et partiellement dorées.
Ainsi le répertoire ornemental est identique à celui du Getty et célèbre à nouveau la victoire du Roi Soleil à travers l’allégorie du Coq triomphant du lion et de l’aigle, le trophée martial et la médaille de Louis XIV en armure.
Selon la tradition familiale, ce cabinet et le second auraient été offerts par Louis XIV à Charles II d’Angleterre, puis donnés à son fils le duc de Monmouth. Celui-ci épouse ensuite Anne, comtesse de Buccleuch en 1663, l’année de la création du duché de Buccleuch.
LE SECOND CABINET “AUX SAISONS” DE DRUMLANRIG CASTLE, ECOSSE (COLLECTION DU DUC DE BUCCLEUCH ET QUEENSBERRY)
On retrouve ce second cabinet également sur une autre photographie ancienne du Drawing-room. Il est installé face au premier cabinet.
Il est plus petit que le premier cabinet de Drumlanrig Castle et que celui du Getty (192,2 x 114,5 x 54,8 cm.).
La marqueterie est ici en contre-partie pour les dix tiroirs flanquant le vantail central orné d’un perroquet en marqueterie de bois. La partie supérieure présente une frise de fleurs de lys interrompue par le ressaut orné d’une médaille de Louis XIV en armure inscrite dans un trophée militaire. Le ressaut est souligné de pattes de lion feuillagées réunies par un mascaron.
On retrouve cette composition sur les cabinets aujourd’hui sans piètement du musée de Cleveland et du musée du Louvre (inv. V4653 ; Vmb932) ainsi que sur le cabinet de Wrotham Park Hertfordshire (sur un piètement à bustes d’Egyptienne dans le style retour d’Egypte de la fin du XVIIIe siècle), conservé depuis fin 2010 au Fitzwilliam Museum, Cambridge.
Le piètement présente un ressaut concave arrondi avec des termes sur le thème des Saisons :à gauche Cérès pour l’été portant des épis de blé et à droite Bacchus pour l’automne coiffé de pampres.
LE CABINET “AUX SAISONS” DE LA WALLACE COLLECTION, LONDRES (INV. F.16)
Le cabinet de la Wallace Collection date des années 1670-1675. Il présente en façade quatorze tiroirs de part et d’autre d’un vantail central. Ses dimensions sont toujours importantes mais il est moins imposant que celui du Getty Museum et le premier cabinet cité à Drumlanrig Castle (186 x 123 x 65 cm.). Les bois employés pour la marqueterie sont toujours ceux typiquement utilisés chez Boulle. On retrouve la frise de fleurs de lys en partie haute et le vantail représente en façade une gerbe généreuse de larges enroulements de feuilles d’acanthe posée sur un entablement à mascaron, le revers est orné d’une marqueterie en contre-partie de rinceaux.
Le vantail est surmonté également d’une médaille de Louis XIV en profil et en armure avec la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX et au revers le soleil rayonnant sur la terre avec l’inscription NEC. PLVRIBVS. IMPAR.1664.
Le piètement présente comme le second cabinet de Drumlanrig Castle un ressaut concave arrondi et les deux termes que sont l’Eté et l’Automne.
Le cabinet a été restauré avant 1872. On note en effet une légère réduction en hauteur et quelques manques notamment à la gerbe de blé de Cérès et le cep de vigne manquant. La restauration a été effectuée par l’ébéniste et marchand français Alfred Beurdeley dans son atelier situé au Pavillon d’Hanovre, 32, rue Louis-le-Grand. Beurdeley vend le cabinet le 8 mai 1872 pour la somme de 32.500 francs à Lady Wallace, la veuve de Sir Richard Wallace mort en 1870.
La facture décrit « un Riche meuble en marqueterie de bois à fleurs fond écaille et étain orné d’une frise en bronze armes avec trophées et médaillon du Roi Louis XIV. Ce meuble est supporté par deux cariatides allégories des saisons en bois sculpté, compris la restauration à mon compte ».
En 1897 le cabinet rejoint la Wallace Collection avec les 5.500 autres œuvres acquises par Sir Richard Wallace faisant de ce lieu l’une des plus riches collections de mobilier Boulle après le musée du Louvre.
LE CABINET AGA KHAN
Le cabinet Aga Khan est contemporain des cabinets de la Wallace Collection et du second de Drumlanrig Castle.
Il présente en façade quatorze tiroirs et un vantail orné du même panneau de marqueterie que celui de la Wallace Collection, une gerbe généreuse de larges enroulements de feuilles d’acanthe posée sur un entablement à mascaron. Ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celui de la Wallace Collection (189 x 119 x 61 cm.).
Les bois sont également ceux traditionnellement utilisés par Boulle en plus des fleurs de jasmin figurées par de l’ivoire. Citons notamment la grenadille pour le fond de la frise de fleurs de lys et l’ébène des Indes pour le fond des marqueteries et encadrements, puis pour la marqueterie on retrouve de l’épine vinette, du houx, du buis, différents bois fruitiers comme l’alisier, le noyer, de la loupe d’if sur les côtés, de l’amarante, du nerprun, ou encore du padouk d’Asie et du gaïac.
Le vantail est toujours surmonté du même décor que celui de la Wallace Collection : une médaille de Louis XIV en profil et en armure avec la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX et au revers le soleil rayonnant sur la terre avec l’inscription NEC. PLVRIBVS. IMPAR.1664.
Le piètement est à section rectangulaire présentant des cartouches unis sur la plinthe et des tableaux de vases fleuris sur entablement. Les deux termes drapés, à gauche Cérès pour l’Eté tenant une gerbe de blé et à droite Bacchus pour l’Automne couronné de pampres et tenant un cep de vigne, sont relaqués en rouge. En effet, sur une ancienne photographie publiée dans Y. Brunhammer, M. de Fayet (Op. cit., 1966) on constate que les figures étaient comme à la Wallace Collection et à Drumlanrig Castle laquées brun et or.
LES MÉDAILLES DE JEAN VARIN (LIEGE, 1596 – PARIS,1672)
Louis XIV affiche très rapidement une volonté féroce de faire de Versailles la première cour d’Europe. Il s’y emploie avec orgueil et gloire à travers plusieurs prismes dont celui d’un déploiement d’un luxe démesuré, contrastant avec la pénurie monétaire de l’époque. Sa personne est glorifiée et est identifiée sous les traits d’Apollon, on parle du Roi Soleil, on dresse des arcs de triomphe pour célébrer ses victoires, on érige sa statue sur de nouvelles places. Cet art prestigieux atteint le mobilier lui-même à l’instar du présent cabinet.
Les cinq cabinets cités précédemment présentent des médailles de Louis XIV en armure ornée d’une Méduse, sur son profil droit. Elles sont d’après un modèle du sculpteur et graveur de monnaie Jean Varin. Les médailles employées sur les cabinets de la Wallace Collection et du cabinet Aga Khan présentent sur la face la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX pour Louis XIV Dei Gratia Franciae et Navarrae Rex soit « Louis XIV roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu ». Ces deux médailles ont la particularité d’avoir le revers fondu avec le Soleil rayonnant sur la Terre accompagnée de la devise de Louis XIV : NEC .PLVRIBVS.IMPAR.1664 « A nul autre pareil » aux côtés de la date 1664.
Jean Varin travaille dans un premier temps avec son père pour les différentes principautés battant monnaie avant de rejoindre la France suite à des accusations de faux-monnayeur. Installé à Paris, il prend la direction de la monnaie du Moulin en 1629. Il supervise la frappe de médailles mettant en avant le règne de Louis XIII et s’accorde à cette occasion les bonnes grâces de Richelieu. En 1646, il est nommé Tailleur général des monnaies de France puis Graveur des Sceaux du roi l’année suivante.
Varin participe ainsi jusqu’à sa mort en 1672 à la frappe et à la fonte des médailles commémorant le règne de Louis XIV. Sa grande précision technique dans la frappe au balancier et la fonte des médailles et l’esthétisme respectant la véracité du portrait des souverains sont largement reconnues jusqu’à dépasser les frontières.
LA MARQUETERIE DITE “BOULLE”
En 1691, le Livre commode des adresses de Paris signale que “Boulle fait des ouvrages de marqueterie d’une beauté singulière » pour compléter en 1692 que seuls Boulle, Cucci et Lefèvre sont les trois seuls ébénistes parisiens dignes d’être cités dans ce guide.
Rappelons-nous que, schématiquement, Boulle succède à Pierre Gole, lui-même succédant aux cabinets en ébène. Le cabinet Louis XIV tranche donc par sa vivacité de couleurs face à la sobriété du cabinet Louis XIII. Malgré l’insolation inéluctable dont souffre toute marqueterie et la détérioration des colorants utilisés pour certains bois, on reste encore aujourd’hui bluffé par une telle technicité. La profondeur de l’ébène des Indes créé du contraste avec les différents feuillages et fleurs malgré la perte des rouge, jaune, vert, etc. La disposition est classiquement baroque : les feuilles d’acanthe sont savamment ordonnées à partir de mascarons et coquilles Saint-Jacques, et les vases posés sur des entablements proposent de généreux bouquets de fleurs fidèlement représentées dans un soucis botanique.
André-Charles Boulle n’est pas l’inventeur de la marqueterie de bois mais il a su s’approprier cette technique pour la rendre de plus en plus complexe en y mêlant métaux (cuivre et étain) et écaille de tortue puis de la corne et de l’ivoire. L’ivoire étant un matériau précieux, son emploi n’est pas anecdotique dans l'œuvre d’André-Charles Boulle. Citons par exemple le cabinet du J.P. Getty Museum sur les côtés, une table également conservée au Getty (inv. 83.DA.22) réalisée vers 1680-1690 ainsi que le cabinet du musée de Cleveland (inv. 1949.539).
LE « TERME » SOUS LOUIS XIV
Les termes représentés sous les traits de l’Eté et de l’Automne du présent cabinet participent à la puissance visuelle du meuble qui s’inscrit logiquement dans un programme iconographique de gloire et force de la France.
Historiquement, on retrouve le terme dès l’Antiquité, puis sous la Renaissance en Italie avec la galerie des frères Carrache au palais Farnèse et en France avec la galerie François Ier du château de Fontainebleau.
La cariatide et le terme qui ne sont pas des motifs ornementaux nouveaux, perdurent donc avec le programme artistique défini par Louis XIV. L’un des projets les plus impressionnants de l’époque s’appropriant ce thème décoratif est pour le surintendant des Finances Nicolas Fouquet (1615-1680) pour le Grand Salon – 1661 mais resté inachevé - de son château de Vaux-le-Vicomte. Seize termes de trois mètres cinquante en stuc scandent le périmètre de la pièce respectant ainsi le fastueux programme iconographique élaboré par Charles Le Brun adapté au plan ambitieux de l’architecte Louis Le Vau (1612-1670). C’est donc sans étonnement que l’on retrouve ce thème ornemental sur de fastueux cabinets à l’effigie du Roi Soleil quelques années plus tard.
ANALYSES SCIENTIFIQUES
Depuis maintenant trois cent ans, les meubles Boulle sont considérés, étudiés et analysés. Les avancées technologiques majeures de ces dernières décennies ont permis des progrès passionnants dans leur étude et leur approche, sources de nombreuses découvertes et publications. Il est particulièrement heureux que ces études se soient particulièrement focalisées sur des cabinets appartenant au corpus dans lequel figure également le présent lot. Mentionnons en particulier le cabinet du J. Paul Getty Museum (cf. notamment A. Heginbotham et al, “The dating of French gilt bronzes with ED-XRF analysis and machine learning”, Journal of the American Institute for Conservation, octobre 2018) et le cabinet de Drumlanrig.
Pour son étude, le présent cabinet a pu bénéficier de nombre de ces avancées en termes notamment d’analyses chimiques, d’analyses au microscope et d’études de tracéologie. Indépendamment de ces approches, l’analyse la plus complète a été effectuée par spectrométrie de fluorescence des rayons X et grâce à la constitution de bases de données qui y sont associées. Ont été étudiés aux rayons X des éléments de l’ornementation de bronze doré, de la marqueterie d’étain, de la marqueterie de laiton, de la marqueterie de bois teintés vert, de la dorure et polychromie des caryatides. Les résultats permettent notamment de constater que la présence de mercure dans l’étain, et de cuivre dans les éléments de bois teinté vert sont en parfaite adéquation avec les œuvres comparables de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. Le résultat est tout aussi concluant pour l’analyse des éléments métalliques (bronzes dorés, marqueterie de métal), que l’on s’intéresse à la composition de l’alliage ou à la question de la présence des impuretés dans celui-ci.
En revanche, les analyses de la polychromie des caryatides tout comme leur examen au microscope montrent que le rouge est tardif et recouvre des couches antérieures.
Nous remercions tout particulièrement M. Yannick Chastang de son aide pour l’analyse scientifique de ce meuble.
Le cabinet Aga Khan appartient ainsi à un corpus particulièrement restreint de cabinets d’André-Charles Boulle puisque presque tous les autres cabinets ont perdu leur piètement, que ce soit par le courant du Boulle Revival qui perdure jusqu’au milieu du XIXe siècle, par les changements de mode et d’intérieurs ou par les affres du temps.
Nous souhaitons remercier tout particulièrement parmi toutes les personnes consultées Messieurs Yannick Chastang, Patrick George, Michel Jamet, Fernando Moreira et Alexandre Pradère pour leur aide à la rédaction de cette notice.
ANDRE-CHARLES BOULLE (1642-1732)
Son père Johan Bolt (né en 1610) originaire du Saint Empire romain s’installe à Paris avant 1637 comme compagnon menuisier en ébène. Il francise par la suite son nom en Bould puis Boulle. André-Charles naît le 10 novembre 1642, son appétence pour le dessin, la gravure, la ciselure et la peinture est vite reconnue. Il est reçu maître ébéniste avant 1666.
« Annoncer les ouvrages de Boulle, c'est citer les meubles des plus belles formes et de la plus grande richesse... rien jusqu'à présent n'a remplacé ce genre de meubles... L'on connaît le caractère de magnificence qu'il donne aux cabinets de curiosité, où il occupe toujours les premières places". Plus de deux cents ans plus tard, les mots employés par l’incontournable marchand d’art Jean-Baptiste Lebrun (1748-1813) à propos d’André-Charles Boulle ont une portée intacte.
Retracer le parcours de Boulle c’est rappeler que grâce au privilège royal d’« Ebéniste et marqueteur ordinaire du roi » qu’il se voit octroyer par la reine le 20 mai 1672 conjointement à son logement aux galeries du Louvre, il se voit le droit de réaliser dans son atelier, aussi bien l’ébénisterie que les bronzes en dépit des règles corporatives et ce jusqu’à la fin de sa vie.
L’atelier de Boulle est conséquent et malgré le logement au Louvre accordé en mai 1672, il est établi dans sa plus grande partie sur la rive gauche, pour se voir étendu à deux autres maisons entre 1673 et 1676 rue de Reims. Ce n’est que l’année suivante que Boulle installe définitivement son atelier au Louvre sur trois étages du corps principal - correspondant aujourd’hui à l’escalier de la Victoire de Samothrace - en plus de son logement de la Grande Galerie encore augmenté de deux étages en 1679.
Ce double privilège lui permet ainsi de mettre en avant ses nombreux talents que ce soit en techniques qu’en création de nouvelles formes, à l’instar de la commode.
Parler des œuvres de Boulle c’est en quelque sorte parler d'œuvres vivantes ; que ce soit les bronzes par leur traitement en ciselure que les tableaux de marqueterie, ces œuvres sont en quelque sorte animées d’un souffle de vie que tout amateur ou néophyte peut remarquer et admirer.
SA CLIENTÈLE
Sa clientèle est prestigieuse et compte parmi elle les Bâtiments du roi, la reine, le Grand Dauphin, la duchesse de Bourgogne. Cependant ce n’est qu’à partir de 1700 qu’il livre au roi son premier meuble, une armoire pour Marly - Louis XIV étant déjà bien entouré des meubles d’apparat de Cucci, Gole et Gaudron.
Les premiers meubles de Boulle à destination royale sont donc dans un premier temps pour la reine et le Grand Dauphin pour qui il réalise en 1683 son chef-d’œuvre : un décor en marqueterie pour les parquets et lambris de son appartement pour Versailles, pour la somme de 100.000 livres.
Ainsi, l’activité principale de Boulle entre 1672 et 1714 consiste à fournir les Bâtiments du roi en parquets de marqueterie, en bronzes dorés et une rare vingtaine de meubles. Le talent d’André-Charles Boulle dépassant par ailleurs les frontières, il fournit également Philippe V roi d’Espagne et l’Electeur de Cologne.
La clientèle d’André-Charles Boulle n’est cependant pas que royale puisqu’elle comprend pour une large part des financiers, ministres et hauts fonctionnaires qu’Alexandre Pradère a listés dans son ouvrage (Op. cit., p. 70), parmi eux citons : Pierre Croizat (1665-1740), Antoine Crozat (1655-1738), Pierre Thomé (1649-1710) l’un de ses plus grands clients et créanciers), Etienne Moulle (mort en 1702) grand collectionneur, Pierre Langlois (mort en 1719), le ministre Louvois (mort en 1693), Moyse-Augustin de Fontanieu (mort en 1725) intendant du Garde-Meuble royal après 1711, ou encore le cardinal de Rohan (1674-1749).
Son atelier repris par ses fils en 1715 continuera à livrer quelques pièces à la Couronne avant le malheureux incendie de l’été 1720 engloutissant alors le stock.
LES CABINETS SUR PIÈTEMENT À FIGURES ET À MARQUETERIE FLORALE
Armoires hautes et armoires basses, bibliothèques hautes et bibliothèques basses, bureaux plats, cartonniers, coffres, commodes, gaines, guéridons, médailliers, miroirs, tables consoles, consoles, tables composent la production de meubles de l’atelier de Boulle aux côtés des cabinets. Tous ces meubles sont alors déclinés en plusieurs versions.
TYPOLOGIE
Il est pertinent de reprendre la typologie qu’a établie Alexandre Pradère (Op. cit., p. 104): les cabinets sur piètement représentant Hercule et Hippolyte, les cabinets à marqueterie florale, les cabinets à dôme, puis les petits cabinets bas ornés de médailles et pattes de lion et enfin les cabinets sur piètement.
Ici, le cabinet Aga Khan étant sur piètement, intéressons-nous à ceux-ci.
La première catégorie, les cabinets sur piètements représentant Hercule et Hippolyte comprend :
- le cabinet daté vers 1675-1680 du musée Getty (inv. 77.DA.1) ;
- l’un des deux cabinets du château de Drumlanrig de la collection du duc de Buccleuch, réalisé vers 1675-1680.
La seconde catégorie, les cabinets en marqueterie de fleurs, est constituée quant à elle:
- du cabinet de la Wallace Collection vers 1670-75 (inv. F 16) ;
- du cabinet (aujourd’hui sans piètement) conservé au musée de Cleveland (inv. 1949.539) ;
- du second cabinet du château de Drumlanrig de la collection du duc de Buccleuch;
- du présent cabinet de la collection Aga Khan ;
- du cabinet (aujourd’hui sans piètement) conservé au musée du château de Versailles et de Trianon (inv. V4653).
Après avoir écarté les cabinets de Cleveland et de Versailles de par l’absence de leur piètement, le cabinet Aga Khan est donc à rapprocher des quatre seuls cabinets toujours dans leur configuration originale : le cabinet du Getty Museum, les deux cabinets de Drumlanrig et celui de la Wallace collection, que nous allons détailler un par un.
LE CABINET “HERCULE ET HIPPOLYTE” DU JOHN PAUL GETTY MUSEUM, LOS ANGELES (INV.77.DA.1)
Le cabinet du musée du J. P. Getty a été réalisé dans les années 1675-1680. Il présente en façade un vantail et dix tiroirs. Ses dimensions sont importantes (229 x 151 x 66,7 cm.). Les marqueteries emploient des bois couramment utilisés par l’atelier de Boulle sur fond d’ébène en plus de l’écaille de tortue, de l’étain, de la corne et de l’ivoire (sur les côtés pour ce dernier).
La frise en partie haute présente un décor de fleurs de lys. Et le revers du vantail est orné d’un vase fleuri posé sur un entablement.
Le piètement est à degré, une sorte de marchepied, avec à gauche Hercule vêtu de la peau du lion de Némée et Hippolyte, à droite, tous deux soutenant la partie haute du cabinet.
Pendant longtemps, on a identifié le couple Hercule et Omphale en référence à leur victoire sur les deux Cercopes d’Ephèse (troisième travail d’Hercule) et plus largement sur la protection de l’Asie mineure par Hercule ordonnée par la reine Omphale. Aujourd’hui on assimile ce couple à celui d’Hercule et Hippolyte.
Ces deux figures sont aujourd’hui relaquées crème et partiellement dorées. En effet, au moment de l’acquisition du cabinet par le Getty en 1977, les figures étaient laquées brun et partiellement dorées.
Une mauvais interprétation d’analyses scientifiques de l’époque a alors conduit à penser que les figures étaient laquées à l’origine blanc à l’imitation du marbre. Ainsi, dans une logique de retour à l’état initial de l’œuvre, la décision a été prise de relaquer blanc et dorer Hercule et Hippolyte. Cependant, des prélèvements d’échantillons sur son pendant conservé à Drumlanrig Castle ont attesté ultérieurement que le couple Hercule-Hippolyte était bien laqué brun et or à l’origine (A. Heginbotham, V. Millay, M. Quick, "The use of immunofluorescence microscopy and enzyme-linked immunosorbent assay as complementary techniques for protein identification in artists' materials" in Journal of the American Institute for Conservation, juin 2006).
Comme l’ensemble de ces cabinets, on ignore la provenance originale. Même si on peut déplorer l’absence d’inventaires ou plus largement d’écritures on peut esquisser l’idée qu’ils aient pu quitter assez rapidement la France, les mettant à l’abri des changements de mode et donc d’un démantèlement irréversible. Dans le cas du cabinet du Getty, l’historique à partir du XIXe siècle est cependant précis. Ce cabinet a appartenu à William Humble, 11e baron Ward (1817-1885) fait 1er comte de Dudley en 1860. Le cabinet est alors exposé à Witley Court, Worcestershire, propriété acquise avec son mobilier en 1838 auprès de Lord Foley. Puis par succession, le cabinet est transmis à William Humble, 2nd comte de Dudley (1867-1932), toujours à Witley Court, Worcestershire qu’il vend vers 1920 avec la propriété. Le cabinet rejoint ainsi les collections de Sir Herbert Smith et est vendu par Jackson-Stops & Staff, Witley Court le 29 septembre 1938, lot 582. Il appartient ensuite à Violet van der Elst pour Harlaxton Manor, Lincolnshire et est vendu par Christie’s, Londres, le 8 avril 1948, sous le lot 142 où il est acquis par John Prendergast, 6e vicomte Gort, pour Hamsterley Hall, County Durham puis acheté en 1977 par le musée J.P. Getty.
Le cabinet entier de par son décor célèbre les victoires de Louis XIV. On retrouve sur le vantail la France triomphant sur l’Espagne et le Saint Empire Germanique personnifiés par le coq debout face au lion et l’aigle, faisant ainsi probablement référence à la signature des deux traités de paix de Nimègue mettant fin à la guerre de Hollande. Ils sont respectivement signés par la France avec l’Espagne le 17 septembre 1678 puis avec le Saint-Empire le 5 février 1679.
Le couple Hercule / Hippolyte fait référence quant à lui au huitième travail d’Hercule, à savoir dérober la ceinture d’Hippolyte la reine des Amazones. Par une manipulation machiavélique de la stratège Héra, Hippolyte est tuée par Hercule, alors qu’elle avait accepté de lui offrir sa ceinture après être tombée sous le charme du demi-dieu.
Enfin on retrouve ce thème à travers l’emploi du trophée militaire encadrant la médaille de Louis XIV en armure.
LE PREMIER CABINET “HERCULE ET HIPPOLYTE” DE DRUMLANRIG CASTLE, ECOSSE (COLLECTION DU DUC DE BUCCLEUCH ET QUEENSBERRY)
La collection du duc de Buccleuch conserve dans son somptueux château écossais dans la région du Dumfrieshire, le château de Drumlanrig, deux cabinets d’André-Charles Boulle: l’un en pendant avec celui du Getty Museum, l’autre très proche du présent cabinet Aga-Khan et de celui de la Wallace Collection.
On aperçoit le premier cabinet de la collection de Drumlanrig sur une ancienne photographie du Drawing-room du premier étage.
Réalisé également dans les années 1675-1680, il présente des dimensions importantes (224,7 x 147 x 60 cm.) mais est légèrement plus petit que celui du Getty.
Moins de détails sont connus mais le vantail central est flanqué de part et d’autre de dix tiroirs. On retrouve la même frise de fleurs de lys en partie supérieure, le même vase fleuri posé sur un entablement au revers du vantail, le même piètement à marchepied composé des figures d’Hercule et Hippolyte, toujours laquées brun et partiellement dorées.
Ainsi le répertoire ornemental est identique à celui du Getty et célèbre à nouveau la victoire du Roi Soleil à travers l’allégorie du Coq triomphant du lion et de l’aigle, le trophée martial et la médaille de Louis XIV en armure.
Selon la tradition familiale, ce cabinet et le second auraient été offerts par Louis XIV à Charles II d’Angleterre, puis donnés à son fils le duc de Monmouth. Celui-ci épouse ensuite Anne, comtesse de Buccleuch en 1663, l’année de la création du duché de Buccleuch.
LE SECOND CABINET “AUX SAISONS” DE DRUMLANRIG CASTLE, ECOSSE (COLLECTION DU DUC DE BUCCLEUCH ET QUEENSBERRY)
On retrouve ce second cabinet également sur une autre photographie ancienne du Drawing-room. Il est installé face au premier cabinet.
Il est plus petit que le premier cabinet de Drumlanrig Castle et que celui du Getty (192,2 x 114,5 x 54,8 cm.).
La marqueterie est ici en contre-partie pour les dix tiroirs flanquant le vantail central orné d’un perroquet en marqueterie de bois. La partie supérieure présente une frise de fleurs de lys interrompue par le ressaut orné d’une médaille de Louis XIV en armure inscrite dans un trophée militaire. Le ressaut est souligné de pattes de lion feuillagées réunies par un mascaron.
On retrouve cette composition sur les cabinets aujourd’hui sans piètement du musée de Cleveland et du musée du Louvre (inv. V4653 ; Vmb932) ainsi que sur le cabinet de Wrotham Park Hertfordshire (sur un piètement à bustes d’Egyptienne dans le style retour d’Egypte de la fin du XVIIIe siècle), conservé depuis fin 2010 au Fitzwilliam Museum, Cambridge.
Le piètement présente un ressaut concave arrondi avec des termes sur le thème des Saisons :à gauche Cérès pour l’été portant des épis de blé et à droite Bacchus pour l’automne coiffé de pampres.
LE CABINET “AUX SAISONS” DE LA WALLACE COLLECTION, LONDRES (INV. F.16)
Le cabinet de la Wallace Collection date des années 1670-1675. Il présente en façade quatorze tiroirs de part et d’autre d’un vantail central. Ses dimensions sont toujours importantes mais il est moins imposant que celui du Getty Museum et le premier cabinet cité à Drumlanrig Castle (186 x 123 x 65 cm.). Les bois employés pour la marqueterie sont toujours ceux typiquement utilisés chez Boulle. On retrouve la frise de fleurs de lys en partie haute et le vantail représente en façade une gerbe généreuse de larges enroulements de feuilles d’acanthe posée sur un entablement à mascaron, le revers est orné d’une marqueterie en contre-partie de rinceaux.
Le vantail est surmonté également d’une médaille de Louis XIV en profil et en armure avec la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX et au revers le soleil rayonnant sur la terre avec l’inscription NEC. PLVRIBVS. IMPAR.1664.
Le piètement présente comme le second cabinet de Drumlanrig Castle un ressaut concave arrondi et les deux termes que sont l’Eté et l’Automne.
Le cabinet a été restauré avant 1872. On note en effet une légère réduction en hauteur et quelques manques notamment à la gerbe de blé de Cérès et le cep de vigne manquant. La restauration a été effectuée par l’ébéniste et marchand français Alfred Beurdeley dans son atelier situé au Pavillon d’Hanovre, 32, rue Louis-le-Grand. Beurdeley vend le cabinet le 8 mai 1872 pour la somme de 32.500 francs à Lady Wallace, la veuve de Sir Richard Wallace mort en 1870.
La facture décrit « un Riche meuble en marqueterie de bois à fleurs fond écaille et étain orné d’une frise en bronze armes avec trophées et médaillon du Roi Louis XIV. Ce meuble est supporté par deux cariatides allégories des saisons en bois sculpté, compris la restauration à mon compte ».
En 1897 le cabinet rejoint la Wallace Collection avec les 5.500 autres œuvres acquises par Sir Richard Wallace faisant de ce lieu l’une des plus riches collections de mobilier Boulle après le musée du Louvre.
LE CABINET AGA KHAN
Le cabinet Aga Khan est contemporain des cabinets de la Wallace Collection et du second de Drumlanrig Castle.
Il présente en façade quatorze tiroirs et un vantail orné du même panneau de marqueterie que celui de la Wallace Collection, une gerbe généreuse de larges enroulements de feuilles d’acanthe posée sur un entablement à mascaron. Ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celui de la Wallace Collection (189 x 119 x 61 cm.).
Les bois sont également ceux traditionnellement utilisés par Boulle en plus des fleurs de jasmin figurées par de l’ivoire. Citons notamment la grenadille pour le fond de la frise de fleurs de lys et l’ébène des Indes pour le fond des marqueteries et encadrements, puis pour la marqueterie on retrouve de l’épine vinette, du houx, du buis, différents bois fruitiers comme l’alisier, le noyer, de la loupe d’if sur les côtés, de l’amarante, du nerprun, ou encore du padouk d’Asie et du gaïac.
Le vantail est toujours surmonté du même décor que celui de la Wallace Collection : une médaille de Louis XIV en profil et en armure avec la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX et au revers le soleil rayonnant sur la terre avec l’inscription NEC. PLVRIBVS. IMPAR.1664.
Le piètement est à section rectangulaire présentant des cartouches unis sur la plinthe et des tableaux de vases fleuris sur entablement. Les deux termes drapés, à gauche Cérès pour l’Eté tenant une gerbe de blé et à droite Bacchus pour l’Automne couronné de pampres et tenant un cep de vigne, sont relaqués en rouge. En effet, sur une ancienne photographie publiée dans Y. Brunhammer, M. de Fayet (Op. cit., 1966) on constate que les figures étaient comme à la Wallace Collection et à Drumlanrig Castle laquées brun et or.
LES MÉDAILLES DE JEAN VARIN (LIEGE, 1596 – PARIS,1672)
Louis XIV affiche très rapidement une volonté féroce de faire de Versailles la première cour d’Europe. Il s’y emploie avec orgueil et gloire à travers plusieurs prismes dont celui d’un déploiement d’un luxe démesuré, contrastant avec la pénurie monétaire de l’époque. Sa personne est glorifiée et est identifiée sous les traits d’Apollon, on parle du Roi Soleil, on dresse des arcs de triomphe pour célébrer ses victoires, on érige sa statue sur de nouvelles places. Cet art prestigieux atteint le mobilier lui-même à l’instar du présent cabinet.
Les cinq cabinets cités précédemment présentent des médailles de Louis XIV en armure ornée d’une Méduse, sur son profil droit. Elles sont d’après un modèle du sculpteur et graveur de monnaie Jean Varin. Les médailles employées sur les cabinets de la Wallace Collection et du cabinet Aga Khan présentent sur la face la mention LVD.XIIII.D.G. / FR. ET NAV REX pour Louis XIV Dei Gratia Franciae et Navarrae Rex soit « Louis XIV roi de France et de Navarre par la grâce de Dieu ». Ces deux médailles ont la particularité d’avoir le revers fondu avec le Soleil rayonnant sur la Terre accompagnée de la devise de Louis XIV : NEC .PLVRIBVS.IMPAR.1664 « A nul autre pareil » aux côtés de la date 1664.
Jean Varin travaille dans un premier temps avec son père pour les différentes principautés battant monnaie avant de rejoindre la France suite à des accusations de faux-monnayeur. Installé à Paris, il prend la direction de la monnaie du Moulin en 1629. Il supervise la frappe de médailles mettant en avant le règne de Louis XIII et s’accorde à cette occasion les bonnes grâces de Richelieu. En 1646, il est nommé Tailleur général des monnaies de France puis Graveur des Sceaux du roi l’année suivante.
Varin participe ainsi jusqu’à sa mort en 1672 à la frappe et à la fonte des médailles commémorant le règne de Louis XIV. Sa grande précision technique dans la frappe au balancier et la fonte des médailles et l’esthétisme respectant la véracité du portrait des souverains sont largement reconnues jusqu’à dépasser les frontières.
LA MARQUETERIE DITE “BOULLE”
En 1691, le Livre commode des adresses de Paris signale que “Boulle fait des ouvrages de marqueterie d’une beauté singulière » pour compléter en 1692 que seuls Boulle, Cucci et Lefèvre sont les trois seuls ébénistes parisiens dignes d’être cités dans ce guide.
Rappelons-nous que, schématiquement, Boulle succède à Pierre Gole, lui-même succédant aux cabinets en ébène. Le cabinet Louis XIV tranche donc par sa vivacité de couleurs face à la sobriété du cabinet Louis XIII. Malgré l’insolation inéluctable dont souffre toute marqueterie et la détérioration des colorants utilisés pour certains bois, on reste encore aujourd’hui bluffé par une telle technicité. La profondeur de l’ébène des Indes créé du contraste avec les différents feuillages et fleurs malgré la perte des rouge, jaune, vert, etc. La disposition est classiquement baroque : les feuilles d’acanthe sont savamment ordonnées à partir de mascarons et coquilles Saint-Jacques, et les vases posés sur des entablements proposent de généreux bouquets de fleurs fidèlement représentées dans un soucis botanique.
André-Charles Boulle n’est pas l’inventeur de la marqueterie de bois mais il a su s’approprier cette technique pour la rendre de plus en plus complexe en y mêlant métaux (cuivre et étain) et écaille de tortue puis de la corne et de l’ivoire. L’ivoire étant un matériau précieux, son emploi n’est pas anecdotique dans l'œuvre d’André-Charles Boulle. Citons par exemple le cabinet du J.P. Getty Museum sur les côtés, une table également conservée au Getty (inv. 83.DA.22) réalisée vers 1680-1690 ainsi que le cabinet du musée de Cleveland (inv. 1949.539).
LE « TERME » SOUS LOUIS XIV
Les termes représentés sous les traits de l’Eté et de l’Automne du présent cabinet participent à la puissance visuelle du meuble qui s’inscrit logiquement dans un programme iconographique de gloire et force de la France.
Historiquement, on retrouve le terme dès l’Antiquité, puis sous la Renaissance en Italie avec la galerie des frères Carrache au palais Farnèse et en France avec la galerie François Ier du château de Fontainebleau.
La cariatide et le terme qui ne sont pas des motifs ornementaux nouveaux, perdurent donc avec le programme artistique défini par Louis XIV. L’un des projets les plus impressionnants de l’époque s’appropriant ce thème décoratif est pour le surintendant des Finances Nicolas Fouquet (1615-1680) pour le Grand Salon – 1661 mais resté inachevé - de son château de Vaux-le-Vicomte. Seize termes de trois mètres cinquante en stuc scandent le périmètre de la pièce respectant ainsi le fastueux programme iconographique élaboré par Charles Le Brun adapté au plan ambitieux de l’architecte Louis Le Vau (1612-1670). C’est donc sans étonnement que l’on retrouve ce thème ornemental sur de fastueux cabinets à l’effigie du Roi Soleil quelques années plus tard.
ANALYSES SCIENTIFIQUES
Depuis maintenant trois cent ans, les meubles Boulle sont considérés, étudiés et analysés. Les avancées technologiques majeures de ces dernières décennies ont permis des progrès passionnants dans leur étude et leur approche, sources de nombreuses découvertes et publications. Il est particulièrement heureux que ces études se soient particulièrement focalisées sur des cabinets appartenant au corpus dans lequel figure également le présent lot. Mentionnons en particulier le cabinet du J. Paul Getty Museum (cf. notamment A. Heginbotham et al, “The dating of French gilt bronzes with ED-XRF analysis and machine learning”, Journal of the American Institute for Conservation, octobre 2018) et le cabinet de Drumlanrig.
Pour son étude, le présent cabinet a pu bénéficier de nombre de ces avancées en termes notamment d’analyses chimiques, d’analyses au microscope et d’études de tracéologie. Indépendamment de ces approches, l’analyse la plus complète a été effectuée par spectrométrie de fluorescence des rayons X et grâce à la constitution de bases de données qui y sont associées. Ont été étudiés aux rayons X des éléments de l’ornementation de bronze doré, de la marqueterie d’étain, de la marqueterie de laiton, de la marqueterie de bois teintés vert, de la dorure et polychromie des caryatides. Les résultats permettent notamment de constater que la présence de mercure dans l’étain, et de cuivre dans les éléments de bois teinté vert sont en parfaite adéquation avec les œuvres comparables de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. Le résultat est tout aussi concluant pour l’analyse des éléments métalliques (bronzes dorés, marqueterie de métal), que l’on s’intéresse à la composition de l’alliage ou à la question de la présence des impuretés dans celui-ci.
En revanche, les analyses de la polychromie des caryatides tout comme leur examen au microscope montrent que le rouge est tardif et recouvre des couches antérieures.
Nous remercions tout particulièrement M. Yannick Chastang de son aide pour l’analyse scientifique de ce meuble.
Le cabinet Aga Khan appartient ainsi à un corpus particulièrement restreint de cabinets d’André-Charles Boulle puisque presque tous les autres cabinets ont perdu leur piètement, que ce soit par le courant du Boulle Revival qui perdure jusqu’au milieu du XIXe siècle, par les changements de mode et d’intérieurs ou par les affres du temps.
Nous souhaitons remercier tout particulièrement parmi toutes les personnes consultées Messieurs Yannick Chastang, Patrick George, Michel Jamet, Fernando Moreira et Alexandre Pradère pour leur aide à la rédaction de cette notice.