Lot Essay
Considéré par certains comme ‘l’une des figures les plus épouvantables de toute l’histoire de l’art, (F. Thöne, Old Master Drawings, XIII, n° 51, octobre 1938, p. 43), David Joris est davantage connu comme leader religieux anabaptiste dans la seconde moitié des années 1530 (G.K. Waite, David Joris and Dutch Anabaptism, 1524-1543, Waterloo, Ontario, 1990). Il est baptisé à Delf en 1534 par Obbé Philips, l’un des premiers leaders du mouvement, dont Joris devient rapidement l’un des grands défenseurs. Ces idées lui valurent, ainsi qu’à sa famille et ses proches, des poursuites judiciaires qui l’amenèrent à suivre une vie itinérante – depuis Anvers jusqu’à la Frise orientale entre autres, avant de partir à Bâle. Il y prétend être un riche aristocratique sous le nom de Jan van Brugge (‘Jean de Bruges’). Son train de vie soutenu sera financé par ses suiveurs à Bâle et aux Pays-Bas et par son activité d’auteur prolifique en néerlandais, de manière anonyme. Seulement après sa mort, sa vraie identité est révélée à la population de Bâle : il est déclaré hérétique, et son corps sera exhumé et brûlé.
Joris, fils d’un membre de la chambre de rhétorique, était aussi intéressé par l’art et reçu une formation de maître verrier. Un bon nombre de projets dessinés pour vitraux, tous de style très varié, lui ont été attribués à base l'inscriptions tardives (voir, parmi d’autres, H. Koegler, ‘Einiges über David Joris als Künstler’, Oeffentliche Kunstsammlung Basel. Jahresberichte, nouvelle série, XXV-XXVII, 1928-1930, pp. 157-201 ; K.G. Boon, ‘De glasschilder David Joris, een exponent van het doperse geloof. Zijn kunst en invloed op Dirck Crabeth’, Academia analecta. Mededelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, IL, 1988, n°1, pp.117-137 ; et A. Mensger, Lichtgestalten. Zeichnungen und Glasgemälde von Holbein bis Ringler, cat. exp., Bâle, Kunstmuseum Basel, 2020, n°49-57). Les seules œuvres connues jusqu’alors avec une attribution certaine à Joris sont deux larges gravures sur bois illustrant un traité de l’artiste, Twonder boeck, daté 1542 (Koegler, op. cit., pp. 173-177, ill.). Le présent dessin, qui porte le même monogramme que sur les gravures, et de style très proche, peut maintenant être ajouté à ce corpus d’œuvres de l’artiste. Dans l’une des gravures représentant un homme nu, le visage et les pieds présentent de grandes similarités avec le dessin. Ce style s’apparente à celui de Jan Swart van Groningen (avant 1500-après 1560), qui directement ou indirectement influença Joris (T.B. Husband, The Luminous Image. Painted Glass Roundels in the Lowlands, 1480-1560, cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 1995, pp. 166-167, n°91-96, ill.). Certaines connections stylistiques avec le travail de Dirck Crabeth (1510/1520?-1574) peuvent également être remarquées mais son activité était plus tardive que celle de Joris.
Comme avec ces deux gravures sur bois, l’iconographie de cette nouvelle découverte est loin d’être facile à expliquer. La date, 1536, inscrite dans l’arc supérieur gauche, situe le dessin l’année où, au mois de décembre, Joris commence à avoir des visions (Waite, op. cit., pp. 68-72). Il se voit lui-même comme le ‘troisième David’ (le premier David était le roi israélite, et le second le Christ). Joris est reconnaissable par la couronne et la lyre du poète à ses pieds désignant le psalmiste, et la fronde dans sa main droite : il s’agit de la figure héroïque sur la droite du dessin. Il est enchaîné et en même temps, il combat trois figures allégoriques qui peuvent être interprétées comme les tentations du pouvoir (la figure prostrée au premier-plan avec le globe), la violence (l’homme aux allures de soldat à gauche) et la chair (la femme séduisante et légèrement vêtue qui vise David avec son javelot). Le crâne entre les deux personnages principaux montre très clairement qu’ils ont besoin, comme la mort, d’être conquis. L’homme avec ses vêtements modernes qui est entré par l’arc où le dessin est daté semble en extase et offre – ou reçoit ?- une assiette de mains émergent d’un nuage mené par un cœur percé par une flèche qui pourrait représenter l’amour de Dieu.
Cette iconographie hautement personnelle et presque insensée se tient par la qualité supérieure de l'exécution et par le choix curieux de l'encre rouge, utilisée exclusivement pour la carnation des figures. L'arrière-plan est occupé par une vue d'inspiration classique, merveilleusement détaillée, dans laquelle l'influence de Jan van Scorel (1495-1562) est perceptible ; à comparer, par exemple, avec son dessin de la tour de Babel dans la Collection Frits Lugt, Paris (inv. 5275 ; voir K.G. Boon, The Netherlandish and German Drawings of the XVth and XVIth Centuries of the Frits Lugt Collection, Paris 1992, I, n°182, III, pl. 44). Tant en originalité qu'en qualité, le dessin laisse loin derrière les autres feuilles attribuées à Joris. Il est peu probable que la composition ait été destinée à un projet de vitrail, car sa nature par trop blasphématoire aurait requis davantage de discrétion. En revanche, la feuille aurait pu jouer un rôle dans l'activité de Joris en tant qu'enseignant et dirigeant de secte, comme y contribuaient ses nombreux livres, hymnes et pamphlets. À la lumière de la découverte de ce dessin, il est regrettable que très peu d’œuvres d’art de cette figure fascinante nous soient parvenues, comparé aux nombreuses publications connues.
Joris, fils d’un membre de la chambre de rhétorique, était aussi intéressé par l’art et reçu une formation de maître verrier. Un bon nombre de projets dessinés pour vitraux, tous de style très varié, lui ont été attribués à base l'inscriptions tardives (voir, parmi d’autres, H. Koegler, ‘Einiges über David Joris als Künstler’, Oeffentliche Kunstsammlung Basel. Jahresberichte, nouvelle série, XXV-XXVII, 1928-1930, pp. 157-201 ; K.G. Boon, ‘De glasschilder David Joris, een exponent van het doperse geloof. Zijn kunst en invloed op Dirck Crabeth’, Academia analecta. Mededelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, IL, 1988, n°1, pp.117-137 ; et A. Mensger, Lichtgestalten. Zeichnungen und Glasgemälde von Holbein bis Ringler, cat. exp., Bâle, Kunstmuseum Basel, 2020, n°49-57). Les seules œuvres connues jusqu’alors avec une attribution certaine à Joris sont deux larges gravures sur bois illustrant un traité de l’artiste, Twonder boeck, daté 1542 (Koegler, op. cit., pp. 173-177, ill.). Le présent dessin, qui porte le même monogramme que sur les gravures, et de style très proche, peut maintenant être ajouté à ce corpus d’œuvres de l’artiste. Dans l’une des gravures représentant un homme nu, le visage et les pieds présentent de grandes similarités avec le dessin. Ce style s’apparente à celui de Jan Swart van Groningen (avant 1500-après 1560), qui directement ou indirectement influença Joris (T.B. Husband, The Luminous Image. Painted Glass Roundels in the Lowlands, 1480-1560, cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 1995, pp. 166-167, n°91-96, ill.). Certaines connections stylistiques avec le travail de Dirck Crabeth (1510/1520?-1574) peuvent également être remarquées mais son activité était plus tardive que celle de Joris.
Comme avec ces deux gravures sur bois, l’iconographie de cette nouvelle découverte est loin d’être facile à expliquer. La date, 1536, inscrite dans l’arc supérieur gauche, situe le dessin l’année où, au mois de décembre, Joris commence à avoir des visions (Waite, op. cit., pp. 68-72). Il se voit lui-même comme le ‘troisième David’ (le premier David était le roi israélite, et le second le Christ). Joris est reconnaissable par la couronne et la lyre du poète à ses pieds désignant le psalmiste, et la fronde dans sa main droite : il s’agit de la figure héroïque sur la droite du dessin. Il est enchaîné et en même temps, il combat trois figures allégoriques qui peuvent être interprétées comme les tentations du pouvoir (la figure prostrée au premier-plan avec le globe), la violence (l’homme aux allures de soldat à gauche) et la chair (la femme séduisante et légèrement vêtue qui vise David avec son javelot). Le crâne entre les deux personnages principaux montre très clairement qu’ils ont besoin, comme la mort, d’être conquis. L’homme avec ses vêtements modernes qui est entré par l’arc où le dessin est daté semble en extase et offre – ou reçoit ?- une assiette de mains émergent d’un nuage mené par un cœur percé par une flèche qui pourrait représenter l’amour de Dieu.
Cette iconographie hautement personnelle et presque insensée se tient par la qualité supérieure de l'exécution et par le choix curieux de l'encre rouge, utilisée exclusivement pour la carnation des figures. L'arrière-plan est occupé par une vue d'inspiration classique, merveilleusement détaillée, dans laquelle l'influence de Jan van Scorel (1495-1562) est perceptible ; à comparer, par exemple, avec son dessin de la tour de Babel dans la Collection Frits Lugt, Paris (inv. 5275 ; voir K.G. Boon, The Netherlandish and German Drawings of the XVth and XVIth Centuries of the Frits Lugt Collection, Paris 1992, I, n°182, III, pl. 44). Tant en originalité qu'en qualité, le dessin laisse loin derrière les autres feuilles attribuées à Joris. Il est peu probable que la composition ait été destinée à un projet de vitrail, car sa nature par trop blasphématoire aurait requis davantage de discrétion. En revanche, la feuille aurait pu jouer un rôle dans l'activité de Joris en tant qu'enseignant et dirigeant de secte, comme y contribuaient ses nombreux livres, hymnes et pamphlets. À la lumière de la découverte de ce dessin, il est regrettable que très peu d’œuvres d’art de cette figure fascinante nous soient parvenues, comparé aux nombreuses publications connues.