Lot Essay
Les premières montres apparaissent en Europe au tout début du XVIe siècle. Elles sont alors portées autour du cou et attachées à un ruban ou à une chaîne, alors qu’au XVIIe siècle on les porte autour de la taille. D’abord encombrante, lourde et peu précise, la montre est surtout considérée comme un bijou et non comme un objet utilitaire. Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour que le mécanisme connaisse une révolution.
Ces objets de luxe, convoités et commandés tant par une clientèle française qu’étrangère, témoignent de la qualité et de la réputation de l’horlogerie française qui fait la fierté du royaume. Ces montres sont donc souvent présentées comme cadeaux diplomatiques ou encore une récompense présentée par le Roi à des notables de rang, tels que des officiers.
LA MONTRE BASSINE ET L’EMAILLAGE
Au début du XVIIe siècle, les montres sont généralement décorées d’un décor ciselé ou sont agrémentées d’une miniature – décor alors très en vogue mais cependant fragile. Le développement de la peinture sur émail dans le second quart du XVIIe siècle va trouver un domaine d’application dans la décoration des montres. L’histoire de la peinture sur émail est donc intimement liée à celle d’une nouvelle forme de montre ronde et assez plate dite montre-bassine dont les larges surfaces planes peuvent alors être entièrement peintes.
La technique de la peinture sur émail semble apparaître dans les années 1620 à Blois et c’est à Jean Toutin (1578-1644) orfèvre-émailleur originaire de Châteaudun que l’on attribue la mise au point du procédé, ou du moins son application, aux montres, puisque la technique de l’émaillage était déjà employée par Léonard Limosin. On doit à Toutin indubitablement la mise au point d’une palette de couleurs vitrifiables. Formées d’oxydes végétaux ou de minéraux réduits en une poudre très fine, dilués à l’essence ou à l’huile, les couleurs obtenues ont des nuances comparables à celles de la peinture à l’huile, permettant alors une grande précision dans le dessin. La technique est perfectionnée au cours du siècle par de nombreux émailleurs, restés anonymes, puisque rares sont ceux signant leurs peintures. Retenons néanmoins les Jean et Henry Toutin - père et fils, Isaac Gribelin, Christophe Morlière et Robert Vauquer.
DECOR MYTHOLOGIQUE OU ROMANESQUE : LES TONDI DE CHARLES POERSON
Deux genres de décor ont dominé la production de cette époque : les natures mortes de fleurs et les scènes historiques. Ces dernières mettent souvent en scène des couples célèbres, mythologiques ou romanesques: Vénus et Adonis, Hélène et Pâris ou encore Théagène et Chariclée. Les émailleurs puisent alors largement dans l’œuvre des peintres à la mode comme Simon Vouet, Sébastien Bourdon ou Charles Poerson.
Ainsi les deux scènes qui ornent les parties extérieures de cette montre sont inspirées de deux huiles sur cuivre par Charles Poerson, décrites comme l’histoire d’Hélène et Pâris empruntée à l’Illiade ou celle de Théagène et Chariclée d’après le roman d’Héliodore. La scène du couvercle est aujourd’hui conservée au Louvre (R.F.1974-16) alors que la deuxième est dans une collection particulière [op. cit. B. Brejon de Lavergnée, 1997, Pl. 2 et 4 p. 18 et 19.]
L’œuvre de Poerson et notamment ces deux tondi semblent avoir été parmi les modèles favoris des peintres émailleurs, probablement parce que le petit format de ces œuvres (20 cm.) se prêtait à celui des montres. Ainsi ces deux scènes se retrouvent sur plusieurs autres montres du XVIIe siècle (voir Cardinal, 1984, p. 45 et 98) dont sur l’une conservée au Louvre. Datée 1640-1660 et signée de l’horloger Gamot (inv. OA 8318), cette montre présente sur le pourtour les mêmes scènes que la nôtre, mais néanmoins dans des tons beaucoup plus pâles et au dessin moins ferme.
CADEAU DE PRESENTATION
L’existence de plusieurs montres émaillées avec ces mêmes décors soulève la question de savoir si ces montres n’étaient pas destinées à être présentées comme cadeau. La thématique de la mer, récurrente dans l’histoire d’Hélène et Pâris comme dans celle de Théagène et Chariclée, laisse penser que les destinataires pourraient être notamment des marins de rang, qu’ils soient amiraux, capitaines vainqueurs de grandes batailles ou encore riches marchands.
L’élément distinctif de cette montre, hormis la qualité du travail et la vivacité des couleurs, est la présence d’une armoirie à l’intérieur du couvercle, répétée sur le pourtour de la boîte entre chaque petite scène. Ces armoiries tenues par une figure d’Athéna et une figure allégorique de la mer et du commerce, sont d’or à la tour d’argent accompagnée en chef de trois besants rangés de gueule et s’accompagnent d’une devise, QUID NON HINC SPERANDUM. Est représentée en dessous de ces armoiries une scène de port sur fond de ville fortifiée - évoquant Saint-Malo prise du côté de l’église Saint-Servant - avec au premier plan sur la terre ferme un berger jouant de la bombarde – instrument de musique breton.
Il est intéressant de rapprocher cette montre d'un compas de marin daté 1647 en ivoire gravé (vente étude Emeraude, Saint-Malo, 2017) qui présente à l’instar de notre lot les mêmes blason, devise et heaume. Le cimier est également en forme d'angelot tenant d'une main un bouclier orné d'une Croix de Jérusalem et de l'autre, le cri d'arme "QVID NON HINC SPERANDUM". La particularité de ce compas étant en effet de présenter sur le couvercle les initiales GLB et une croix de Jérusalem. Même si malheureusement ces initiales ne nous apportent pas davantage d’indices sur l’identité de son propriétaire, elles nous indiquent que le propriétaire de cette montre appartenait à une famille ayant participé aux Croisades en Terre Sainte.
PROVENANCES DU XXe SIECLE
Cette montre a fait partie de la collection de Paul Garnier (1834-1916), président de la chambre syndicale de l’Horlogerie de Paris. Fils de Jean-Paul Garnier (1801-1869) horloger de la Marine et constructeur d’horloges pour lieux publics, notamment les gares, Paul Garnier reprend l’affaire familiale à la mort de son père et sera succédé par son neveu Blot en 1916.
Collectionneur éclairé, Paul Garnier décida de faire donation au musée du Louvre de 56 montres de sa collection datant toutes du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècles et pour l’essentiel toute signées et à décor ciselé datant de la première moitié du XVIIe siècle - donation qu’il accompagna d’un catalogue scientifique explicatif.
Cette montre extraordinaire fut donc présentée avec le reste de sa collection dans une vente publique qui dura six jours et comprenait 649 lots. Elle fut probablement acquise par Emile Bloch (1873-1961) mari d’Esther Rodrigues-Pimentel (1878-1916) puis vendue à Drouot le 5 mai 1961 dans la collection Bloch-Pimentel de montres « des XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles à répétition, calendrier, quantièmes... en or, argent, cristal... Montres de carrosse Montres à automates. Horloges et Pendules des XVIe, XVIIIe et XVIIIe siècles à personnages, animaux, grotesques... dorées, ciselées ou repercées. Livres anciens et modernes sur l'horlogerie.”
Ces objets de luxe, convoités et commandés tant par une clientèle française qu’étrangère, témoignent de la qualité et de la réputation de l’horlogerie française qui fait la fierté du royaume. Ces montres sont donc souvent présentées comme cadeaux diplomatiques ou encore une récompense présentée par le Roi à des notables de rang, tels que des officiers.
LA MONTRE BASSINE ET L’EMAILLAGE
Au début du XVIIe siècle, les montres sont généralement décorées d’un décor ciselé ou sont agrémentées d’une miniature – décor alors très en vogue mais cependant fragile. Le développement de la peinture sur émail dans le second quart du XVIIe siècle va trouver un domaine d’application dans la décoration des montres. L’histoire de la peinture sur émail est donc intimement liée à celle d’une nouvelle forme de montre ronde et assez plate dite montre-bassine dont les larges surfaces planes peuvent alors être entièrement peintes.
La technique de la peinture sur émail semble apparaître dans les années 1620 à Blois et c’est à Jean Toutin (1578-1644) orfèvre-émailleur originaire de Châteaudun que l’on attribue la mise au point du procédé, ou du moins son application, aux montres, puisque la technique de l’émaillage était déjà employée par Léonard Limosin. On doit à Toutin indubitablement la mise au point d’une palette de couleurs vitrifiables. Formées d’oxydes végétaux ou de minéraux réduits en une poudre très fine, dilués à l’essence ou à l’huile, les couleurs obtenues ont des nuances comparables à celles de la peinture à l’huile, permettant alors une grande précision dans le dessin. La technique est perfectionnée au cours du siècle par de nombreux émailleurs, restés anonymes, puisque rares sont ceux signant leurs peintures. Retenons néanmoins les Jean et Henry Toutin - père et fils, Isaac Gribelin, Christophe Morlière et Robert Vauquer.
DECOR MYTHOLOGIQUE OU ROMANESQUE : LES TONDI DE CHARLES POERSON
Deux genres de décor ont dominé la production de cette époque : les natures mortes de fleurs et les scènes historiques. Ces dernières mettent souvent en scène des couples célèbres, mythologiques ou romanesques: Vénus et Adonis, Hélène et Pâris ou encore Théagène et Chariclée. Les émailleurs puisent alors largement dans l’œuvre des peintres à la mode comme Simon Vouet, Sébastien Bourdon ou Charles Poerson.
Ainsi les deux scènes qui ornent les parties extérieures de cette montre sont inspirées de deux huiles sur cuivre par Charles Poerson, décrites comme l’histoire d’Hélène et Pâris empruntée à l’Illiade ou celle de Théagène et Chariclée d’après le roman d’Héliodore. La scène du couvercle est aujourd’hui conservée au Louvre (R.F.1974-16) alors que la deuxième est dans une collection particulière [op. cit. B. Brejon de Lavergnée, 1997, Pl. 2 et 4 p. 18 et 19.]
L’œuvre de Poerson et notamment ces deux tondi semblent avoir été parmi les modèles favoris des peintres émailleurs, probablement parce que le petit format de ces œuvres (20 cm.) se prêtait à celui des montres. Ainsi ces deux scènes se retrouvent sur plusieurs autres montres du XVIIe siècle (voir Cardinal, 1984, p. 45 et 98) dont sur l’une conservée au Louvre. Datée 1640-1660 et signée de l’horloger Gamot (inv. OA 8318), cette montre présente sur le pourtour les mêmes scènes que la nôtre, mais néanmoins dans des tons beaucoup plus pâles et au dessin moins ferme.
CADEAU DE PRESENTATION
L’existence de plusieurs montres émaillées avec ces mêmes décors soulève la question de savoir si ces montres n’étaient pas destinées à être présentées comme cadeau. La thématique de la mer, récurrente dans l’histoire d’Hélène et Pâris comme dans celle de Théagène et Chariclée, laisse penser que les destinataires pourraient être notamment des marins de rang, qu’ils soient amiraux, capitaines vainqueurs de grandes batailles ou encore riches marchands.
L’élément distinctif de cette montre, hormis la qualité du travail et la vivacité des couleurs, est la présence d’une armoirie à l’intérieur du couvercle, répétée sur le pourtour de la boîte entre chaque petite scène. Ces armoiries tenues par une figure d’Athéna et une figure allégorique de la mer et du commerce, sont d’or à la tour d’argent accompagnée en chef de trois besants rangés de gueule et s’accompagnent d’une devise, QUID NON HINC SPERANDUM. Est représentée en dessous de ces armoiries une scène de port sur fond de ville fortifiée - évoquant Saint-Malo prise du côté de l’église Saint-Servant - avec au premier plan sur la terre ferme un berger jouant de la bombarde – instrument de musique breton.
Il est intéressant de rapprocher cette montre d'un compas de marin daté 1647 en ivoire gravé (vente étude Emeraude, Saint-Malo, 2017) qui présente à l’instar de notre lot les mêmes blason, devise et heaume. Le cimier est également en forme d'angelot tenant d'une main un bouclier orné d'une Croix de Jérusalem et de l'autre, le cri d'arme "QVID NON HINC SPERANDUM". La particularité de ce compas étant en effet de présenter sur le couvercle les initiales GLB et une croix de Jérusalem. Même si malheureusement ces initiales ne nous apportent pas davantage d’indices sur l’identité de son propriétaire, elles nous indiquent que le propriétaire de cette montre appartenait à une famille ayant participé aux Croisades en Terre Sainte.
PROVENANCES DU XXe SIECLE
Cette montre a fait partie de la collection de Paul Garnier (1834-1916), président de la chambre syndicale de l’Horlogerie de Paris. Fils de Jean-Paul Garnier (1801-1869) horloger de la Marine et constructeur d’horloges pour lieux publics, notamment les gares, Paul Garnier reprend l’affaire familiale à la mort de son père et sera succédé par son neveu Blot en 1916.
Collectionneur éclairé, Paul Garnier décida de faire donation au musée du Louvre de 56 montres de sa collection datant toutes du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècles et pour l’essentiel toute signées et à décor ciselé datant de la première moitié du XVIIe siècle - donation qu’il accompagna d’un catalogue scientifique explicatif.
Cette montre extraordinaire fut donc présentée avec le reste de sa collection dans une vente publique qui dura six jours et comprenait 649 lots. Elle fut probablement acquise par Emile Bloch (1873-1961) mari d’Esther Rodrigues-Pimentel (1878-1916) puis vendue à Drouot le 5 mai 1961 dans la collection Bloch-Pimentel de montres « des XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles à répétition, calendrier, quantièmes... en or, argent, cristal... Montres de carrosse Montres à automates. Horloges et Pendules des XVIe, XVIIIe et XVIIIe siècles à personnages, animaux, grotesques... dorées, ciselées ou repercées. Livres anciens et modernes sur l'horlogerie.”