Lot Essay
Cette miniature est un ajout important à l’œuvre d’un artiste rare, comme en témoignent non seulement sa qualité et son état de conservation, mais également sa provenance prestigieuse, détaillée ci-dessus. On ne connaît presque rien de la formation artistique de son auteur. Né à Bruxelles, Lefebure a dû entrer très tôt en contact avec Joseph Werner, le grand miniaturiste suisse (pour Lefebure, voir H. Rott, op. cit., p. 131-134, 142-143, 150, 153, 159 ; U. Thieme et F. Becker, Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, XXI, Leipzig, 1928, p. 558 ; L.R. Schidlof, La Miniature en Europe aux 16e, 17e, 18e et 19e siècles, Graz, 1964, I, pp. 493-494 ; pour Werner, voir J. Glaesemer, Joseph Werner, 1637-1710, Zurich et Munich, 1974). Leur rencontre a peut-être eu lieu à Paris ou à Versailles, où Werner a travaillé pour Louis XIV de 1662 à 1667. Probablement la première œuvre connue de Lefebure, un Portrait allégorique de Louis XIV et de Mademoiselle de La Vallière, est daté de 1670 (vente Palais des Congrès, Versailles, 5 mars 1978, lot 19, comme François Lefebure). Cependant, au moment où il réalise cette œuvre, il semble avoir déjà déménagé vers l’Est, où il est nommé ‘peintre en mignature’ du margrave de Baden-Baden, Guillaume (r. 1621-1677), entrant ensuite au service de la maison de Baden-Durlach. Il se rendit à Venise pour étudier l’architecture en 1674 et, à son retour en 1688, fut nommé architecte de la cour par le margrave Fredrick VII Magnus (r. 1677-1709). (On peut noter ici que Werner avait lui aussi des liens avec les margraves : en 1677, il a gravé un portrait allégorique à l’occasion de la mort de Frédéric VI, le prédécesseur de Frédéric Magnus (Glaesemer, op. cit., n° 62, ill.).) La carrière ultérieure de Lefebure fut principalement celle d’un architecte, ce dont témoignent encore aujourd’hui des dessins architecturaux et quelques bâtiments.
Le peu de miniatures de Lefebure connues aujourd’hui semblent toutes dater des années 1670, et comprennent un Vertumne et Pomone de 1674 (Galerie Éric Coatalem, 2000), une paire de vues de jardins, dont une avec des amoureux, de 1675 et 1677 (vente Beaussant et Lefèvre, Paris, 17 juin 2005, lot 11), un deuxième Vertumne et Pomone de 1676 (The Metropolitan Museum of Art, New York, inv. 33.136.13 ; voir G. Reynolds, avec K. Baetjer, European Miniatures in the Metropolitan Museum of Art, New York, 1997, no 21, ill.), et un Portrait de jeune garçon de 1678 dans la collection Frits Lugt, Paris, inv. 8428 (K. Schaffers, Portrait Miniatures in the Frits Lugt Collection, Paris, 2018, I, no 97, II, ill.). Ils révèlent sa technique sensible, que Graham Reynolds (à propos de l’œuvre du Metropolitan Museum) qualifie d’‘étonnamment distinguée ‘, et dont il note qu’elle est ‘exceptionnelle dans l’affichage de son intérêt pour l’architecture’ (Reynolds, op. cit., p. 78). C’est encore plus vrai pour la présente œuvre, où le saint patron des musiciens joue d'un orgue de chambre monumental dans la splendeur d’une salle de style classique, avec pour toile de fond les murs et le jardin d’un palais. Le pinceau virtuose de Lefebure n’excelle pas seulement dans la représentation des bâtiments, mais aussi dans les fleurs du vase à gauche et éparpillées sur le sol en marbre de la salle, l’encensoir en bas à droite et le lourd rideau de brocart, tiré pour révéler la scène.
Lefebure s’est peut-être inspiré d’une représentation similaire de la Vierge martyre romaine par Werner dans les années 1660 (Galerie Didier Aaron, Paris, en 2015). Des miniatures de Lefebure et de Werner apparaissent ensemble dans les inventaires de 1688/1693 et 1736/1773 des collections des margraves de Baden-Durlach à Bâle, où ils avaient leur palais d’été. Outre la présente œuvre, Lefebure était représenté par trois autres miniatures, représentant Hérodiade avec la tête de saint Jean-Baptiste, un paysage dans lequel Cupidon taille un arc, et un paysage italianisant avec trois ânes (Vey, op. cit., pp. 26-27, nos 8, 25, 62, pp. 40-41, nos 91, 99, 101). Parmi les œuvres de Werner figure une miniature représentant ‘l’histoire d'Alexandre le Grand, donnant sa maîtresse [Campaspe] à Apelles’ (Vey, op. cit., p. 26, no 1, p. 40, no 86). Les deux œuvres ont été vendues aux enchères en 1808 par la ville de Bâle après être devenue propriétaire du palais d’été des Margraves (ibid., pp. 12, 14-16) ; peu après la vente, son organisateur, le peintre Conrad Cramm, les a acquises, et elles sont restées ensemble jusqu’à la vente de la collection de l’affichistes français Raymond Gid en 2022 (voir Provenance ; la miniature de Werner, ici reproduite en fig. 1, était vendue sous le lot 22). Toutes deux encadrées de manière identique et somptueuse au XIXe siècle, probablement par son propriétaire d’alors, le collectionneur Baron Hugo de Bethmann, les œuvres témoignent du talent exceptionnel de deux artistes. Celui de Werner bénéficie depuis déjà un moment l’attention des collectionneurs et des spécialistes ; celui de Lefebure mérite d’être redécouvert.
Fig. 1. Joseph Werner, Alexandre le Grand offrant sa maîtresse Campaspe au peintre Apelles. Benjamin Peronnet Fine Art, Paris
Le peu de miniatures de Lefebure connues aujourd’hui semblent toutes dater des années 1670, et comprennent un Vertumne et Pomone de 1674 (Galerie Éric Coatalem, 2000), une paire de vues de jardins, dont une avec des amoureux, de 1675 et 1677 (vente Beaussant et Lefèvre, Paris, 17 juin 2005, lot 11), un deuxième Vertumne et Pomone de 1676 (The Metropolitan Museum of Art, New York, inv. 33.136.13 ; voir G. Reynolds, avec K. Baetjer, European Miniatures in the Metropolitan Museum of Art, New York, 1997, no 21, ill.), et un Portrait de jeune garçon de 1678 dans la collection Frits Lugt, Paris, inv. 8428 (K. Schaffers, Portrait Miniatures in the Frits Lugt Collection, Paris, 2018, I, no 97, II, ill.). Ils révèlent sa technique sensible, que Graham Reynolds (à propos de l’œuvre du Metropolitan Museum) qualifie d’‘étonnamment distinguée ‘, et dont il note qu’elle est ‘exceptionnelle dans l’affichage de son intérêt pour l’architecture’ (Reynolds, op. cit., p. 78). C’est encore plus vrai pour la présente œuvre, où le saint patron des musiciens joue d'un orgue de chambre monumental dans la splendeur d’une salle de style classique, avec pour toile de fond les murs et le jardin d’un palais. Le pinceau virtuose de Lefebure n’excelle pas seulement dans la représentation des bâtiments, mais aussi dans les fleurs du vase à gauche et éparpillées sur le sol en marbre de la salle, l’encensoir en bas à droite et le lourd rideau de brocart, tiré pour révéler la scène.
Lefebure s’est peut-être inspiré d’une représentation similaire de la Vierge martyre romaine par Werner dans les années 1660 (Galerie Didier Aaron, Paris, en 2015). Des miniatures de Lefebure et de Werner apparaissent ensemble dans les inventaires de 1688/1693 et 1736/1773 des collections des margraves de Baden-Durlach à Bâle, où ils avaient leur palais d’été. Outre la présente œuvre, Lefebure était représenté par trois autres miniatures, représentant Hérodiade avec la tête de saint Jean-Baptiste, un paysage dans lequel Cupidon taille un arc, et un paysage italianisant avec trois ânes (Vey, op. cit., pp. 26-27, nos 8, 25, 62, pp. 40-41, nos 91, 99, 101). Parmi les œuvres de Werner figure une miniature représentant ‘l’histoire d'Alexandre le Grand, donnant sa maîtresse [Campaspe] à Apelles’ (Vey, op. cit., p. 26, no 1, p. 40, no 86). Les deux œuvres ont été vendues aux enchères en 1808 par la ville de Bâle après être devenue propriétaire du palais d’été des Margraves (ibid., pp. 12, 14-16) ; peu après la vente, son organisateur, le peintre Conrad Cramm, les a acquises, et elles sont restées ensemble jusqu’à la vente de la collection de l’affichistes français Raymond Gid en 2022 (voir Provenance ; la miniature de Werner, ici reproduite en fig. 1, était vendue sous le lot 22). Toutes deux encadrées de manière identique et somptueuse au XIXe siècle, probablement par son propriétaire d’alors, le collectionneur Baron Hugo de Bethmann, les œuvres témoignent du talent exceptionnel de deux artistes. Celui de Werner bénéficie depuis déjà un moment l’attention des collectionneurs et des spécialistes ; celui de Lefebure mérite d’être redécouvert.
Fig. 1. Joseph Werner, Alexandre le Grand offrant sa maîtresse Campaspe au peintre Apelles. Benjamin Peronnet Fine Art, Paris