Lot Essay
Cette table royale illustre à la fois la qualité des livraisons faites pour Louis XVI au château de Fontainebleau, et le goût d’un couple mythique de la seconde moitié du XXe siècle, Pierre et Sao Schlumberger.
UNE LIVRAISON ROYALE
L’inscription ‘Du N˚ 3304-2’ visible sur cette table correspond à une livraison au Garde-Meuble du Roi du 31 octobre 1783 par “le Sieur Riezener Sous le Service du Roy, à Fontainebleau… pour servir à Monsieur Thierry … deux tables à écrire de bois d’acajou”.
C’est dans le cadre de sa charge honorifique de Premier valet du Roi que Thierry de Ville d’Avray réceptionna cette table et son pendant. Elles furent alors installées sous sa supervision dans les Petits Appartements de Louis XVI au château de Fontainebleau. Dans l’inventaire de cette demeure dressé le 1er octobre 1786, on retrouve l’une de ces tables dans la Salle du Tric-Trac des Petits Appartements du Roi sous le numéro 3304 : “une table à écrire de bois d'acajou à un tiroir par un bout avec encrier, poudryer boite a eponge de cuivre argenté, un petit tiroir sur le devant anneaux et sabots de bronze doré de 30 pouces de large sur 17 ". La seconde, de mesures légèrement différentes (18 pouces au lieu de 17) est inventoriée dans le " cabinet à côté " de la salle de billard, également dans les Petits Appartements du Roi.
On retrouve ces deux tables un an plus tard dans l'inventaire de Fontainebleau daté de septembre 1787: "une table à écrire de bois d'acajou à un tiroir sur le coté avec encrier, poudrier et boete a eponge de cuivre argenté ; anneau et sabot de bronze doré 30 pouces sur 17 (tric-trac) …30 pouces sur 18 (à côté) ". La table située dans la Salle du Tric-Trac est estimée à 50 livres, celle du cabinet “d'à côté” 72 livres.
Le pendant de notre table, également inscrit “Du N˚ 3304” (sans terminer par le numéro 2 comme notre table), fut vendu chez Christie’s, Paris, le 23 juin 2005, lot 481. Les mesures de ces deux tables étant presque identiques, il est difficile d’affirmer les pièces respectives dans lesquelles elles se situaient exactement. La largeur légèrement supérieure de notre table pourrait suggérer que celle-ci était disposée dans le cabinet adjacent à la Salle de billard.
LES PETITS APPARTEMENTS DU ROI
Situés au rez-de-chaussée du château de Fontainebleau, ces Petits Appartements permettaient au souverain de mener une vie privée, hors des contraintes de la vie de cour qui se déroulait dans les Grands Appartements. Créés sous le règne de Louis XV en 1725, ils furent réaménagés avec raffinement sous Louis XVI. C’est en 1778 que la Salle de billard et son cabinet attenant, d’où provient probablement la présente table, furent aménagés du côté de la façade du Jardin de Diane. Ces deux pièces furent déplacées en 1785-1786 avec un nouveau décor, les anciennes boiseries ayant alors été réemployées dans les appartements de Madame Adélaïde. Une lettre datée du 6 novembre 1786 nous livre un intéressant témoignage quant au caractère intime que revêtait ces appartements : “Les petits appartements du roi au-dessus et au-dessous [des Grands Appartements] ne sont pas d’une pareille magnificence; mais j’y ai admiré avec Plaisir les travaux de sa Majesté… par toutes les cartes de provinces qu’on trouve sur son bureau… Cela ne serait pas plus extraordinaire que de voir ce monarque dicter à M. de La Pérouse son voyage autour du monde”.
Durant la Révolution, le château fut entièrement vidé de ses meubles. Rien ne fut conservé sur place, la majeure partie étant vendue aux enchères. Les Petits Appartements furent de nouveau réaménagés à partir de 1808, cette fois-ci à la demande de Napoléon Ier, qui y créa un petit appartement à son usage suivi d'un bureau et, faisant suite, d'un appartement pour l'Impératrice, occupé par Joséphine puis à partir de 1810 par Marie-Louise. C’est ce dernier décor d’époque Empire que le visiteur peut aujourd’hui admirer.
UNE DES COLLECTIONS D’ART LES PLUS EMBLEMATIQUES DU XXe SIECLE
On retrouve cette table à écrire dans la collection de Monsieur et Madame Pierre Schlumberger, dont l’hôtel de Luzy servit d’écrin durant de nombreuses années. Situé rue Férou entre le jardin du Luxembourg et l’église Saint-Sulpice, l’hôtel fut modifié par Jean-François Chalgrin à la fin des années 1760 pour Dorothée Dorinville dite Mademoiselle de Luzy, actrice de la Comédie Française, maîtresse d’Etienne-Nicolas Landry et de Talleyrand. Il ajouta deux sphinx sur les piliers encadrant la grille et des bas-reliefs de François-Joseph Duret entre l’étage noble et le troisième niveau d’élévation. L’hôtel connut probablement ses heures les plus glorieuses au XXe siècle avec Pierre et Sao Schlumberger qui en font à partir de leur achat en 1970 un lieu très prisé de la haute société parisienne. Peter Coats dessine le jardin et son trompe-l’œil en miroirs et le décorateur Valerian Rybar participe au réaménagement de cet hôtel.
La colossale fortune des Schlumberger, ancienne famille originaire d’Alsace, est tout d’abord issue du textile. Premiers investisseurs
dans le canal de Suez, les actions de la famille se développent par la suite dans le pétrole, au Texas. Pierre Schlumberger épouse Maria da Diniz , surnommée Sao, en 1961. Dès cette date, le couple collectionne des tableaux de Seurat, Monet, Matisse, Braque, Picasso, Rothko, Reinhardt, Lichtenstein qu’ils accrochent à Paris dans l’appartement près de la Tour Eifel décoré par Gabhan O’Keefe, et dans l’hôtel de Luzy rue Férou, mais également au Clos Fiorentino à Saint-Jean-Cap-Ferrat. C’est au sein de cette impressionnante collection en partie dispersée en 1992 à Monaco puis en 2014 à New York que notre table de Riesener était placée dans la bibliothèque de la rue Férou.
Sao Schlumberger (1929-2007), d’origine portugaise, mêle comme personne jusqu’alors aristocratie et nouveaux visages. Elle est proche des cercles artistiques et compte parmi ses amis Andy Warhol qui organise pour elle une soirée mémorable à New York dans sa Factory, Cy Twombly, Man Ray, Max Ernst, Yves Klein, François-Xavier et Claude Lalanne, mais également des cercles aristocratiques comprenant notamment les familles Rothschild, Thurn und Taxis et politiques comme les Kennedy. Philanthrope, elle soutient les opéras de l’avant-gardiste Robert Wilson, elle fait partie des premières personnes à commander auprès d’Andy Warhol des portraits sérigraphiés, siège aux Conseils d’Administration du Centre Pompidou et du MoMA.
UNE LIVRAISON ROYALE
L’inscription ‘Du N˚ 3304-2’ visible sur cette table correspond à une livraison au Garde-Meuble du Roi du 31 octobre 1783 par “le Sieur Riezener Sous le Service du Roy, à Fontainebleau… pour servir à Monsieur Thierry … deux tables à écrire de bois d’acajou”.
C’est dans le cadre de sa charge honorifique de Premier valet du Roi que Thierry de Ville d’Avray réceptionna cette table et son pendant. Elles furent alors installées sous sa supervision dans les Petits Appartements de Louis XVI au château de Fontainebleau. Dans l’inventaire de cette demeure dressé le 1er octobre 1786, on retrouve l’une de ces tables dans la Salle du Tric-Trac des Petits Appartements du Roi sous le numéro 3304 : “une table à écrire de bois d'acajou à un tiroir par un bout avec encrier, poudryer boite a eponge de cuivre argenté, un petit tiroir sur le devant anneaux et sabots de bronze doré de 30 pouces de large sur 17 ". La seconde, de mesures légèrement différentes (18 pouces au lieu de 17) est inventoriée dans le " cabinet à côté " de la salle de billard, également dans les Petits Appartements du Roi.
On retrouve ces deux tables un an plus tard dans l'inventaire de Fontainebleau daté de septembre 1787: "une table à écrire de bois d'acajou à un tiroir sur le coté avec encrier, poudrier et boete a eponge de cuivre argenté ; anneau et sabot de bronze doré 30 pouces sur 17 (tric-trac) …30 pouces sur 18 (à côté) ". La table située dans la Salle du Tric-Trac est estimée à 50 livres, celle du cabinet “d'à côté” 72 livres.
Le pendant de notre table, également inscrit “Du N˚ 3304” (sans terminer par le numéro 2 comme notre table), fut vendu chez Christie’s, Paris, le 23 juin 2005, lot 481. Les mesures de ces deux tables étant presque identiques, il est difficile d’affirmer les pièces respectives dans lesquelles elles se situaient exactement. La largeur légèrement supérieure de notre table pourrait suggérer que celle-ci était disposée dans le cabinet adjacent à la Salle de billard.
LES PETITS APPARTEMENTS DU ROI
Situés au rez-de-chaussée du château de Fontainebleau, ces Petits Appartements permettaient au souverain de mener une vie privée, hors des contraintes de la vie de cour qui se déroulait dans les Grands Appartements. Créés sous le règne de Louis XV en 1725, ils furent réaménagés avec raffinement sous Louis XVI. C’est en 1778 que la Salle de billard et son cabinet attenant, d’où provient probablement la présente table, furent aménagés du côté de la façade du Jardin de Diane. Ces deux pièces furent déplacées en 1785-1786 avec un nouveau décor, les anciennes boiseries ayant alors été réemployées dans les appartements de Madame Adélaïde. Une lettre datée du 6 novembre 1786 nous livre un intéressant témoignage quant au caractère intime que revêtait ces appartements : “Les petits appartements du roi au-dessus et au-dessous [des Grands Appartements] ne sont pas d’une pareille magnificence; mais j’y ai admiré avec Plaisir les travaux de sa Majesté… par toutes les cartes de provinces qu’on trouve sur son bureau… Cela ne serait pas plus extraordinaire que de voir ce monarque dicter à M. de La Pérouse son voyage autour du monde”.
Durant la Révolution, le château fut entièrement vidé de ses meubles. Rien ne fut conservé sur place, la majeure partie étant vendue aux enchères. Les Petits Appartements furent de nouveau réaménagés à partir de 1808, cette fois-ci à la demande de Napoléon Ier, qui y créa un petit appartement à son usage suivi d'un bureau et, faisant suite, d'un appartement pour l'Impératrice, occupé par Joséphine puis à partir de 1810 par Marie-Louise. C’est ce dernier décor d’époque Empire que le visiteur peut aujourd’hui admirer.
UNE DES COLLECTIONS D’ART LES PLUS EMBLEMATIQUES DU XXe SIECLE
On retrouve cette table à écrire dans la collection de Monsieur et Madame Pierre Schlumberger, dont l’hôtel de Luzy servit d’écrin durant de nombreuses années. Situé rue Férou entre le jardin du Luxembourg et l’église Saint-Sulpice, l’hôtel fut modifié par Jean-François Chalgrin à la fin des années 1760 pour Dorothée Dorinville dite Mademoiselle de Luzy, actrice de la Comédie Française, maîtresse d’Etienne-Nicolas Landry et de Talleyrand. Il ajouta deux sphinx sur les piliers encadrant la grille et des bas-reliefs de François-Joseph Duret entre l’étage noble et le troisième niveau d’élévation. L’hôtel connut probablement ses heures les plus glorieuses au XXe siècle avec Pierre et Sao Schlumberger qui en font à partir de leur achat en 1970 un lieu très prisé de la haute société parisienne. Peter Coats dessine le jardin et son trompe-l’œil en miroirs et le décorateur Valerian Rybar participe au réaménagement de cet hôtel.
La colossale fortune des Schlumberger, ancienne famille originaire d’Alsace, est tout d’abord issue du textile. Premiers investisseurs
dans le canal de Suez, les actions de la famille se développent par la suite dans le pétrole, au Texas. Pierre Schlumberger épouse Maria da Diniz , surnommée Sao, en 1961. Dès cette date, le couple collectionne des tableaux de Seurat, Monet, Matisse, Braque, Picasso, Rothko, Reinhardt, Lichtenstein qu’ils accrochent à Paris dans l’appartement près de la Tour Eifel décoré par Gabhan O’Keefe, et dans l’hôtel de Luzy rue Férou, mais également au Clos Fiorentino à Saint-Jean-Cap-Ferrat. C’est au sein de cette impressionnante collection en partie dispersée en 1992 à Monaco puis en 2014 à New York que notre table de Riesener était placée dans la bibliothèque de la rue Férou.
Sao Schlumberger (1929-2007), d’origine portugaise, mêle comme personne jusqu’alors aristocratie et nouveaux visages. Elle est proche des cercles artistiques et compte parmi ses amis Andy Warhol qui organise pour elle une soirée mémorable à New York dans sa Factory, Cy Twombly, Man Ray, Max Ernst, Yves Klein, François-Xavier et Claude Lalanne, mais également des cercles aristocratiques comprenant notamment les familles Rothschild, Thurn und Taxis et politiques comme les Kennedy. Philanthrope, elle soutient les opéras de l’avant-gardiste Robert Wilson, elle fait partie des premières personnes à commander auprès d’Andy Warhol des portraits sérigraphiés, siège aux Conseils d’Administration du Centre Pompidou et du MoMA.