Lot Essay
BERNARD DE GRUNNE
Cette somptueuse princesse Songyé fait partie d’un minuscule corpus de trois oeuvres sculptées par un artiste de très grand talent. Elle fut acquise par Josef Müller dans la vente de la collection Vlaminck en 1937.1 Une seconde statue de la même main, également féminine, appartient aux collections du British Museum et fut probablement achetée par William Oldman au marchand anversois Henri Pareyn entre les années 1920 et 1928.2 La troisième statue fut acquise au Congo par le Lieutenant Willy-Eugène Claes entre 1907 et 1918.3 Des représentations de femmes sont extrêmement rares dans la statuaire Songyé. En effet, sur les deux cent soixante-douze statues recensées par Neyt dans son ouvrage de 2004, je n’ai comptabilisé que huit statues féminines soit moins de 4% du corpus.4
Les caractéristiques pertinentes de ce sculpteur au travail soigné et raffiné sont les suivantes : une bouche largement ouverte montrant les deux rangées de dents et des commissures des lèvres remontant vers le haut, une coiffure finement gaufrée faite de rangées parallèles de micro-tresses, de larges pieds en immenses raquettes modelés de manière souple avec des ongles indiqués et une patine sombre imprégnée d’huile de palme.
Cet artiste que je nommerai « le Maître de Vlaminck » appartient à une large zone stylistique de grands sculpteurs résidant à la limite du pays Luba chez les populations Belande et Milembwe. L’influence de la culture Luba sur les trois œuvres du « Maître de Vlaminck » se ressent dans le type de scarifications caractéristiques sur les seins, le nombril et le bas-ventre ainsi qu’une coiffure évoquant celles du « Maître de la coiffure en Cascade » chez les Luba-Shankadi.5
Les trois statues présentent toutes les signes éminemment visibles d’un usage et d’une fonction rituelle car toutes sont dotées de profonds orifices au sommet de la tête ainsi que dans le haut de la cuisse droite, remplis de substances mystérieuses. Il faut dès lors les comprendre comme trois portraits d’une ancêtre puissante et crainte, cheffe fondatrice et grande notable défunte encourageant la fertilité et la naissance de nombreux enfants dont l’esprit communiquait par le biais de ces trois magnifiques statues. Els De Palmenaer avait déjà suggéré que la célébrissime statuette Songyé à cou annelé dans les collections du musée d’Anvers pourrait être le portrait d’une ancêtre Songyé.6
Les dates anciennes d'acquisition de ces trois œuvres permettent de conclure que le « Maître de Vlaminck » a dû être actif entre 1850 et 1900 et peut être rattaché aux ateliers résidants près des rives de la Lubengule, affluent du Lomani comme le « Maître de Muyemba », un autre remarquable sculpteur que j’ai identifié dans l’exposition sur la statuaire Songyé organisée en collaboration avec Gigi Pezzoli à la Chapelle Palatine de Naples en 2023.7
En conclusion, le « Maître de Vlaminck » fut un artiste d’une exceptionnelle créativité qui a pu imaginer une riche variété de styles malgré le canon d’un type de formes relativement limité.
This admirable Songye princess is part of a tiny corpus of three works sculpted by a very talented artist. It was acquired by Josef Müller at the sale of the Vlaminck collection in 1937.1 A second statue by the same hand, also feminine, is part of the British Museum collections and was probably bought by William Oldman from the Antwerp dealer Henri Pareyn between 1920 and 1928.2 The third statue was acquired in the Congo by Lieutenant Willy-Eugène Claes between 1907 and 1918.3 Representations of women are extremely rare in Songye statuary. Indeed, of the 272 statues listed by Neyt in his 2004 opus, I have counted only eight female examples, less than 4% of the corpus.4
The relevant characteristics of this sculptor, whose work is meticulous and refined, are as follows: a wide-open mouth showing two rows of teeth and the corners of the mouth turned upwards, a finely embossed hairstyle made up of parallel rows of micro-braids, large feet in the form of immense snowshoes modelled in a supple manner with nails indicated, and a dark patina impregnated with palm oil.
This artist, whom I shall refer to as the “Master of Vlaminck”, belongs to a broad stylistic zone of great sculptors living on the edge of Luba country among the Belande and Milembwe populations. The influence of Luba culture on the three works by the “Master of Vlaminck”, can be seen in the characteristic scarification marks on the breasts, navel and lower abdomen, as well as a hairstyle reminiscent of those of the “Master of the Cascade hairstyle” of the Luba-Shankadi.
These three statues feature highly visible signs of ritual use and function, as they all have deep orifices at the top of the head and at the top of the right thigh, filled with mysterious substances. They should therefore be perceived as three portraits of a powerful and feared ancestor, a founding woman leader and great notable who died encouraging fertility and the birth of many children, whose spirit communicated through these three magnificent statues.
Art historian Els De Palmenaer had already suggested that the famous ring-necked Songye statuette in the collections of the Antwerp Museum might be the portrait of a Songye ancestor.
The early dates of acquisition of these three works lead to the conclusion that the “Master of Vlaminck” must have been active between 1850 and 1900 and can be linked to the workshops installed near the embankments of the Lubengule, a tributary of the Loman river, like the “Master of Muyemba”, another remarkable sculptor whom I identified in the exhibition on Songye statuary organised in collaboration with Gigi Pezzoli at the Palatine Chapel in Naples in 2023.7
In conclusion, the “Master of Vlaminck” was an exceptionally creative artist who was able to imagine a rich variety of styles despite the canon of a relatively limited type of form.
1Bellier, Hôtel Drouot, Paris, Sculptures africaines et océaniennes. Collection de M. Maurice de Vlaminck, 1er juillet 1937, lot 44 (non ill.).
2Oldman visitait occasionnellement Pareyn à Anvers entre 1920 et 1928/Oldman occasionally visited Pareyn in Antwerp between 1920 and 1928. Cf. Hales R. et Conru, K., W.O. Oldman. The Remarkable Collector, Bruxelles, 2016, p. 30.
3Claes fut un officier de Marine qui prêta quinze œuvres à l’exposition L'art du Congo à Anvers en 1937 dont cette statue Songye (n° 835) / Claes was a naval officer who lent fifteen artworks to the L'art du Congo exhibition in Antwerp in 1937, including this Songye statue (no. 835). Cf. Maesen, A. et Olbrechts, F., Tentoonstelling van Kongo-Kunst, Catalogus, Anvers, 1937, n° 494, 583, 659, 664,707, 718, 725, 730, 756, 834, 835,1116, 1117, 1181 et 1182.
4Bassani, E., « Il maestro della capigliatura a cascata » in Critica d’Arte, juillet-octobre 1976, pp. 75-87 et Neyt, F., Songye. La redoutable statuaire Songye d’Afrique centrale, Bruxelles, 2004.
5François Neyt, « L’univers songyé de Maurice de Vlaminck au musée Barbier-Mueller », in Arts & Cultures, Genève, 2015, n° 16, p. 150.
6Cf. Petridis, C., Frans M. Olbrechts 1899-1958. In Search of Art in Africa, Anvers, 2001, p. 47 et Baeke, V. et al., Le sensible et la force, Tervuren, 2004, p. 33.
7Grunne, B. de, Sacri Spiriti (esprits sacrés). Songye, Naples, 2023, pp. 92-115.
Cette somptueuse princesse Songyé fait partie d’un minuscule corpus de trois oeuvres sculptées par un artiste de très grand talent. Elle fut acquise par Josef Müller dans la vente de la collection Vlaminck en 1937.1 Une seconde statue de la même main, également féminine, appartient aux collections du British Museum et fut probablement achetée par William Oldman au marchand anversois Henri Pareyn entre les années 1920 et 1928.2 La troisième statue fut acquise au Congo par le Lieutenant Willy-Eugène Claes entre 1907 et 1918.3 Des représentations de femmes sont extrêmement rares dans la statuaire Songyé. En effet, sur les deux cent soixante-douze statues recensées par Neyt dans son ouvrage de 2004, je n’ai comptabilisé que huit statues féminines soit moins de 4% du corpus.4
Les caractéristiques pertinentes de ce sculpteur au travail soigné et raffiné sont les suivantes : une bouche largement ouverte montrant les deux rangées de dents et des commissures des lèvres remontant vers le haut, une coiffure finement gaufrée faite de rangées parallèles de micro-tresses, de larges pieds en immenses raquettes modelés de manière souple avec des ongles indiqués et une patine sombre imprégnée d’huile de palme.
Cet artiste que je nommerai « le Maître de Vlaminck » appartient à une large zone stylistique de grands sculpteurs résidant à la limite du pays Luba chez les populations Belande et Milembwe. L’influence de la culture Luba sur les trois œuvres du « Maître de Vlaminck » se ressent dans le type de scarifications caractéristiques sur les seins, le nombril et le bas-ventre ainsi qu’une coiffure évoquant celles du « Maître de la coiffure en Cascade » chez les Luba-Shankadi.5
Les trois statues présentent toutes les signes éminemment visibles d’un usage et d’une fonction rituelle car toutes sont dotées de profonds orifices au sommet de la tête ainsi que dans le haut de la cuisse droite, remplis de substances mystérieuses. Il faut dès lors les comprendre comme trois portraits d’une ancêtre puissante et crainte, cheffe fondatrice et grande notable défunte encourageant la fertilité et la naissance de nombreux enfants dont l’esprit communiquait par le biais de ces trois magnifiques statues. Els De Palmenaer avait déjà suggéré que la célébrissime statuette Songyé à cou annelé dans les collections du musée d’Anvers pourrait être le portrait d’une ancêtre Songyé.6
Les dates anciennes d'acquisition de ces trois œuvres permettent de conclure que le « Maître de Vlaminck » a dû être actif entre 1850 et 1900 et peut être rattaché aux ateliers résidants près des rives de la Lubengule, affluent du Lomani comme le « Maître de Muyemba », un autre remarquable sculpteur que j’ai identifié dans l’exposition sur la statuaire Songyé organisée en collaboration avec Gigi Pezzoli à la Chapelle Palatine de Naples en 2023.7
En conclusion, le « Maître de Vlaminck » fut un artiste d’une exceptionnelle créativité qui a pu imaginer une riche variété de styles malgré le canon d’un type de formes relativement limité.
This admirable Songye princess is part of a tiny corpus of three works sculpted by a very talented artist. It was acquired by Josef Müller at the sale of the Vlaminck collection in 1937.1 A second statue by the same hand, also feminine, is part of the British Museum collections and was probably bought by William Oldman from the Antwerp dealer Henri Pareyn between 1920 and 1928.2 The third statue was acquired in the Congo by Lieutenant Willy-Eugène Claes between 1907 and 1918.3 Representations of women are extremely rare in Songye statuary. Indeed, of the 272 statues listed by Neyt in his 2004 opus, I have counted only eight female examples, less than 4% of the corpus.4
The relevant characteristics of this sculptor, whose work is meticulous and refined, are as follows: a wide-open mouth showing two rows of teeth and the corners of the mouth turned upwards, a finely embossed hairstyle made up of parallel rows of micro-braids, large feet in the form of immense snowshoes modelled in a supple manner with nails indicated, and a dark patina impregnated with palm oil.
This artist, whom I shall refer to as the “Master of Vlaminck”, belongs to a broad stylistic zone of great sculptors living on the edge of Luba country among the Belande and Milembwe populations. The influence of Luba culture on the three works by the “Master of Vlaminck”, can be seen in the characteristic scarification marks on the breasts, navel and lower abdomen, as well as a hairstyle reminiscent of those of the “Master of the Cascade hairstyle” of the Luba-Shankadi.
These three statues feature highly visible signs of ritual use and function, as they all have deep orifices at the top of the head and at the top of the right thigh, filled with mysterious substances. They should therefore be perceived as three portraits of a powerful and feared ancestor, a founding woman leader and great notable who died encouraging fertility and the birth of many children, whose spirit communicated through these three magnificent statues.
Art historian Els De Palmenaer had already suggested that the famous ring-necked Songye statuette in the collections of the Antwerp Museum might be the portrait of a Songye ancestor.
The early dates of acquisition of these three works lead to the conclusion that the “Master of Vlaminck” must have been active between 1850 and 1900 and can be linked to the workshops installed near the embankments of the Lubengule, a tributary of the Loman river, like the “Master of Muyemba”, another remarkable sculptor whom I identified in the exhibition on Songye statuary organised in collaboration with Gigi Pezzoli at the Palatine Chapel in Naples in 2023.7
In conclusion, the “Master of Vlaminck” was an exceptionally creative artist who was able to imagine a rich variety of styles despite the canon of a relatively limited type of form.
1Bellier, Hôtel Drouot, Paris, Sculptures africaines et océaniennes. Collection de M. Maurice de Vlaminck, 1er juillet 1937, lot 44 (non ill.).
2Oldman visitait occasionnellement Pareyn à Anvers entre 1920 et 1928/Oldman occasionally visited Pareyn in Antwerp between 1920 and 1928. Cf. Hales R. et Conru, K., W.O. Oldman. The Remarkable Collector, Bruxelles, 2016, p. 30.
3Claes fut un officier de Marine qui prêta quinze œuvres à l’exposition L'art du Congo à Anvers en 1937 dont cette statue Songye (n° 835) / Claes was a naval officer who lent fifteen artworks to the L'art du Congo exhibition in Antwerp in 1937, including this Songye statue (no. 835). Cf. Maesen, A. et Olbrechts, F., Tentoonstelling van Kongo-Kunst, Catalogus, Anvers, 1937, n° 494, 583, 659, 664,707, 718, 725, 730, 756, 834, 835,1116, 1117, 1181 et 1182.
4Bassani, E., « Il maestro della capigliatura a cascata » in Critica d’Arte, juillet-octobre 1976, pp. 75-87 et Neyt, F., Songye. La redoutable statuaire Songye d’Afrique centrale, Bruxelles, 2004.
5François Neyt, « L’univers songyé de Maurice de Vlaminck au musée Barbier-Mueller », in Arts & Cultures, Genève, 2015, n° 16, p. 150.
6Cf. Petridis, C., Frans M. Olbrechts 1899-1958. In Search of Art in Africa, Anvers, 2001, p. 47 et Baeke, V. et al., Le sensible et la force, Tervuren, 2004, p. 33.
7Grunne, B. de, Sacri Spiriti (esprits sacrés). Songye, Naples, 2023, pp. 92-115.