Lot Essay
En 1583, l'empereur Rodolphe II (1552-1612) déplace sa cour de Vienne à Prague, l'ancien cœur de l'empire de Bohême, et crée l'un des centres artistiques les plus vivants et les plus cosmopolites d'Europe. Neuf ans plus tard, l'empereur réalise son deuxième transfert prodigieux, celui du lapidaire Cosimo Castrucci de Florence à Prague, dans le but de faire rayonner plus encore la production artistique de sa cour et de contribuer à l'établissement d’une véritable identité pour la Bohême.
L'art de l'incrustation et de la marqueterie de pierres dures ou commesso di pietre dure apparaît pour la première fois à Rodolphe II lorsqu'en 1589, le grand-duc Ferdinand Ier de Médicis lui offre un plateau de table. À la suite de cela, Rodolphe passe ses propres commandes durant plus de six ans directement aux ateliers florentins et demande à ce que l’on incorpore dans ses réalisations des pierres de Bohême qu'il fait envoyer. L'empereur ne se contente pas de collectionner des objets en pierre dure pour sa célèbre Kunstkammer, il désire aussi en produire. Avec l'arrivée à Prague de Cosimo Castrucci, puis de son fils Giovanni (mort en 1615), la production de plaques en pietra dura est non plus uniquement identifiée comme florentine, mais également pragoise. La famille Castrucci a réussi à créer un style nouveau et distinct de celui de la pietra dura florentine. Les compositions de l'atelier ont été inspirées par l’intense créativité et la richesse artistique de la ville, et leur production a été soutenue par la demande ardente de leur royal mécène.
Le présent panneau offre une vision idéalisée de Prague, identifiable par le pont Charles, à l'extrême gauche de la plaque, qui relie les deux rives de la capitale. La scène fluviale en contrebas évoque le commerce portuaire animé de la ville et la topographie du premier plan rappelle celle de la colline de Petřín. Cependant, la rive gauche de Prague, normalement préservée et bucolique, a été embellie par une série d'édifices, non seulement dans le style hollandais traditionnel, mais aussi avec une construction en rotonde à rattacher à la tradition italienne. Cet amalgame de bâtiments anciens et contemporains est un thème récurrent dans les paysages commandés aux artistes de la cour de Rodolphe II. Le souverain autorise l'accès à sa vaste Kunstkammer pour encourager les artistes et artisans locaux à enrichir leurs œuvres de monuments atypiques et de motifs anciens provenant plus particulièrement de sa collection de dessins, de peintures et de cartes. Cette pratique est illustrée par deux compositions de Roland Savery et de Pieter Stevens. Savery, dans son dessin du pont Charles conservé en collection privée, inclut la représentation d'une rotonde antique située en haut de la colline luxuriante. Dans la gravure d'Hendrick Hondius le Jeune d'après Stevens, on peut observer une grande structure de temple dont le toit arrondi est percé de deux fenêtres. Ces deux itérations de formes classiques font étroitement écho à la construction de la rotonde au sommet de la colline de notre plaque, soulignée par une large bande orange en jaspe de Lorraine. Bien que nous ne puissions pas être certains que la plaque ait été directement inspirée par Savery et Stevens, la comparaison confirme l'existence d'un programme visuel cohérent dans la production artistique de la cour de Rodolphe. L'intégration de ces structures historiques dans la topographie de Prague imprègne les scènes respectives d'un sentiment de mysticisme et relie les décors contemporains au passé, élevant ainsi la nouvelle capitale de Rodolphe au niveau de cités historiques comme Rome et Florence.
La composition caractéristique de la Bohême du panneau se retrouve également dans la composition et l'exécution technique. S'écartant de la tradition florentine, la nature éblouissante de l'œuvre est obtenue par un jeu de couleurs très détaillé et délicat. Outre le marbre italien traditionnel, plusieurs pierres rares, dont des agates locales, des calcédoines, des jaspes, des améthystes et du cristal de roche, sont incorporés dans la composition, reflètant la passion du souverain pour les richesses minérales de son royaume. La graduation et la disposition des pierres sont spécifiques à l'œuvre de Cosimo Castrucci dont la virtuosité est née de sa formation d'orfèvre. Le groupement de verts et de bruns terreux au premier plan et de couleurs pastel plus floues à l'horizon crée une impression de tridimensionnalité qui ajoute encore à la qualité onirique du panneau. Cette technique spécifique se prêtait aux paysages bucoliques et rocheux et Cosimo et son atelier réalisèrent pour l'empereur plusieurs scènes de verdure et d'affleurements déchiquetés. Citons notamment Paysage avec vue de ville et ciel enflammé et Paysage avec obélisque, tous deux conservés dans les collections du Kunsthistorisches Museum de Vienne (inv. Kunstkammer 3039 et 3397), qui présentent des similitudes frappantes avec le présent panneau, les variantes de marbres verts et les inserts brillants de jaspe étant utilisés pour former une campagne dynamique, la pierre tranchante pénétrant à travers les arbustes verdoyants. En effet, le panneau se présente comme une ode très évocatrice et magnifiquement exécutée à la vision de Prague de Rodophe, rendue vivante par l'habileté complexe de Cosimo Castrucci et de son atelier.
L'art de l'incrustation et de la marqueterie de pierres dures ou commesso di pietre dure apparaît pour la première fois à Rodolphe II lorsqu'en 1589, le grand-duc Ferdinand Ier de Médicis lui offre un plateau de table. À la suite de cela, Rodolphe passe ses propres commandes durant plus de six ans directement aux ateliers florentins et demande à ce que l’on incorpore dans ses réalisations des pierres de Bohême qu'il fait envoyer. L'empereur ne se contente pas de collectionner des objets en pierre dure pour sa célèbre Kunstkammer, il désire aussi en produire. Avec l'arrivée à Prague de Cosimo Castrucci, puis de son fils Giovanni (mort en 1615), la production de plaques en pietra dura est non plus uniquement identifiée comme florentine, mais également pragoise. La famille Castrucci a réussi à créer un style nouveau et distinct de celui de la pietra dura florentine. Les compositions de l'atelier ont été inspirées par l’intense créativité et la richesse artistique de la ville, et leur production a été soutenue par la demande ardente de leur royal mécène.
Le présent panneau offre une vision idéalisée de Prague, identifiable par le pont Charles, à l'extrême gauche de la plaque, qui relie les deux rives de la capitale. La scène fluviale en contrebas évoque le commerce portuaire animé de la ville et la topographie du premier plan rappelle celle de la colline de Petřín. Cependant, la rive gauche de Prague, normalement préservée et bucolique, a été embellie par une série d'édifices, non seulement dans le style hollandais traditionnel, mais aussi avec une construction en rotonde à rattacher à la tradition italienne. Cet amalgame de bâtiments anciens et contemporains est un thème récurrent dans les paysages commandés aux artistes de la cour de Rodolphe II. Le souverain autorise l'accès à sa vaste Kunstkammer pour encourager les artistes et artisans locaux à enrichir leurs œuvres de monuments atypiques et de motifs anciens provenant plus particulièrement de sa collection de dessins, de peintures et de cartes. Cette pratique est illustrée par deux compositions de Roland Savery et de Pieter Stevens. Savery, dans son dessin du pont Charles conservé en collection privée, inclut la représentation d'une rotonde antique située en haut de la colline luxuriante. Dans la gravure d'Hendrick Hondius le Jeune d'après Stevens, on peut observer une grande structure de temple dont le toit arrondi est percé de deux fenêtres. Ces deux itérations de formes classiques font étroitement écho à la construction de la rotonde au sommet de la colline de notre plaque, soulignée par une large bande orange en jaspe de Lorraine. Bien que nous ne puissions pas être certains que la plaque ait été directement inspirée par Savery et Stevens, la comparaison confirme l'existence d'un programme visuel cohérent dans la production artistique de la cour de Rodolphe. L'intégration de ces structures historiques dans la topographie de Prague imprègne les scènes respectives d'un sentiment de mysticisme et relie les décors contemporains au passé, élevant ainsi la nouvelle capitale de Rodolphe au niveau de cités historiques comme Rome et Florence.
La composition caractéristique de la Bohême du panneau se retrouve également dans la composition et l'exécution technique. S'écartant de la tradition florentine, la nature éblouissante de l'œuvre est obtenue par un jeu de couleurs très détaillé et délicat. Outre le marbre italien traditionnel, plusieurs pierres rares, dont des agates locales, des calcédoines, des jaspes, des améthystes et du cristal de roche, sont incorporés dans la composition, reflètant la passion du souverain pour les richesses minérales de son royaume. La graduation et la disposition des pierres sont spécifiques à l'œuvre de Cosimo Castrucci dont la virtuosité est née de sa formation d'orfèvre. Le groupement de verts et de bruns terreux au premier plan et de couleurs pastel plus floues à l'horizon crée une impression de tridimensionnalité qui ajoute encore à la qualité onirique du panneau. Cette technique spécifique se prêtait aux paysages bucoliques et rocheux et Cosimo et son atelier réalisèrent pour l'empereur plusieurs scènes de verdure et d'affleurements déchiquetés. Citons notamment Paysage avec vue de ville et ciel enflammé et Paysage avec obélisque, tous deux conservés dans les collections du Kunsthistorisches Museum de Vienne (inv. Kunstkammer 3039 et 3397), qui présentent des similitudes frappantes avec le présent panneau, les variantes de marbres verts et les inserts brillants de jaspe étant utilisés pour former une campagne dynamique, la pierre tranchante pénétrant à travers les arbustes verdoyants. En effet, le panneau se présente comme une ode très évocatrice et magnifiquement exécutée à la vision de Prague de Rodophe, rendue vivante par l'habileté complexe de Cosimo Castrucci et de son atelier.