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Lot Essay
« Le temps est fondamental, c'est le principe fondateur de toute chose […]. À chaque chose sa temporalité.» Alighiero Boetti
Le pouvoir d'action et de transformation du temps est l'une des préoccupations centrales de l'art d'Alighiero Boetti. Si ses œuvres « à dates » sont parmi les premières à soulever cette question, 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 (« 16 décembre 2040 11 juillet 2023 ») en est l'un des exemples les plus précoces. Conçu en 1969, ce diptyque est composé de chiffres et de lettres en liège appliqués sur deux panneaux carrés recouverts de peinture bleue, dans un format proche des Vernici industriali (« peintures industrielles ») de Boetti, réalisés deux ans plus tôt. Il s'agit du premier d'une suite de trois travaux particulièrement évocateurs et profondément personnels, dans lesquels figurent ces mêmes dates, et qualifie par l’artiste « pierres tombales persistantes » (A. Boetti in A. Sauzeau, ‘The Works and Days: Chronology’, in J-C. Ammann (éd.), Alighiero Boetti, Catalogo generale, Vol. I, Milan, 2009, p. 81).
Les deux autres œuvres se présentent sous la forme d'un tandem de tapisseries brodées à la main – produit par Boetti à Kaboul en 1971 - et d'une paire de panneaux en laiton poli, exécutés la même année. Ces « pierres tombales persistantes », telles que les qualifie l'artiste, annoncent deux dates à venir qui correspondent, pour l'une, au centenaire de la naissance de Boetti; pour l'autre, à sa date de décès hypothétique ou présumée.
Le résultat ressemble à une sorte d'épitaphe qui vient énoncer la durée de vie théorique de l'Italien et de son legs, selon une logique conceptuelle vouée à changer, elle aussi, au fil du temps.
Cette œuvre – l'une des premières à voir le jour juste après la période Arte Povera de Boetti à la fin des années 1960 – constitue probablement l'exemple le plus ancien qu'il nous reste d'une composition dans laquelle l'artiste éprouve la force extraordinaire que peuvent véhiculer de simples dates. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 est une réponse intime à trois œuvres de la même époque (désormais perdues) comportant des dates inscrites, comme ici, sur des panneaux bleus. Pour ce projet antérieur, Boetti avait mis à contribution trois femmes, dont son épouse Annemarie : chacune lui avait fait part d'une date future ayant pour elle une signification particulière. « L'une des dates renvoyait à l'année en cours, 1968, se souvient Boetti, une autre indiquait le jour où un tel atteindrait sa majorité ; et la troisième correspondait à la date d'examen d'une personne qui manquait cruellement d'assurance. Ce qui était flagrant dans ce travail, c'était la différence qu'il y avait entre un concept artistique à l'italienne, tel que moi ou l'un de mes pairs aurions pu en imaginer, et le genre d'approche que pourrait avoir, par exemple, On Kawara, qui utilisait aussi des dates... On Kawara en faisait quelque chose de très précis, de très rigoureux ; il mettait un an à réaliser un carré, une structure ; tandis que mon idée reposait sur l'énergie que peut générer une date. J'ai donc pris trois dates et je les ai placées là... Et c'est tout, vous voyez ? » (A. Boetti dans un entretien avec M. Bandini, 1973, in Arte Povera from the Goetz Collection, cat. exp. Neues Museum Weserburg, Brême, 1997, p. 65).
Par cette notion d'« énergie que peut générer une date », Boetti entend que la résonance et la signification d'un jour donné évoluent avec le temps. Une date passée gagne en substance à mesure qu'elle prend de l'âge et s'éloigne de l'instant présent, tandis qu'une date à venir relève de moins en moins du fantasme, et devient donc de plus en plus saisissable, dès lors que son échéance approche. Cette idée de temporalité joue un rôle primordial ici, puisque le sens que l'observateur choisit de donner à 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 dépend étroitement de l'époque à laquelle il l'observe. Comme le soulignait Lynne Cooke en 2012 dans le catalogue de la rétrospective de Boetti à la Tate de Londres, la portée intime des dates annoncées dans 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 continuent d'émettre un écho particulier aujourd'hui encore, bien après le décès prématuré de l'artiste en 1994. Les tentatives de Boetti de « maîtriser son 'propre temps', observe Cooke, pour le modeler selon ses envies et en disposer à sa guise [… est un pari] qu'il a à la fois remporté et perdu : contrairement à ce qu'il avait prédit, il n'a pas vécu jusqu'au 11 juillet 2023, mais le centenaire de sa naissance, le 16 décembre 2040, sera très largement célébré » (L. Cooke, ‘Boetti’s Game Plan’, in Alighiero Boetti: Game Plan, cat. exp., Tate, Londres, 2012, p. 27).
'' Time is something fundamental, the basic principle of everything… Everything has its own time.'' Alighiero Boetti
The active and transformative power of time is one of the central themes of Alighiero Boetti’s art. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 (16 December 2040 11 July 2023) is one of the artist’s very first ‘date’ works, which are among his earliest invocations of this idea. Executed in 1969, using cork letters set onto a pair of square, blue-painted wooden panels in a format reminiscent of the Vernici industriali (‘Industrial Paints’) that he had made two years previously, it is the first of three important, evocative and deeply personal works projecting these dates that Boetti described as ‘continuing tombstones’ (A. Boetti quoted in A. Sauzeau, ‘The Works and Days: Chronology’, in J-C. Ammann (ed.), Alighiero Boetti, Catalogo generale, Vol. I, Milan 2009, p. 81).
The two other examples are an embroidery— made by Boetti in Kabul in 1971— and a pair of polished brass panels from that same year. Boetti referred to these works as ‘continuing tombstones’ because the paired future dates that they display signify first the centenary of his birth, and second his imagined or assumed death-date. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 brackets the artist’s projected life-span and legacy within a conceptual framework that will itself change over time.
Among the first works made directly after Boetti’s involvement with Arte Povera in the late 1960s, this diptych is also probably the earliest extant example of a work in which he sought to explore the extraordinary energy that dates can convey. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 was a personal response to three other works Boetti had also made around this time—now lost—which likewise displayed dates on blue panels. In the case of these works Boetti had requested future dates of interest from three different women, including his wife, Annemarie. ‘One date was current, in 1968’, Boetti remembered; ‘another was the date on which a certain person would reach his majority; and the third marked the day of a test for a certain insecure person. What was evident in this work was the difference between an Italian artistic concept, such as I or someone else might come up with, and that which might be used, for example, by On Kawara, who also uses dates … On Kawara made something very precise and rigid out of it; for one year he made a square, a structure; whereas my idea was about the energy that a date can give, and so I took three dates and put them there ... And that was all, you see?’ (A. Boetti interviewed by M. Bandini, 1973, in Arte Povera from the Goetz Collection, exh. cat. Neues Museum Weserburg, Bremen 1997, p. 65).
What Boetti meant by ‘the energy that a date can give’ was that, with the passing of time, the resonance and meaning of a fixed date changes. A date that lies in the past gains something as it grows older and more distant, while one that lies in the future becomes less of an imaginative property and more of a graspable concept as it becomes ever closer and more urgent. Time, too, therefore, is demonstrated to be at work in a viewer’s changing perceptions of a work such as 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 as it ages. As Lynne Cooke wrote in the catalogue of Boetti’s Tate retrospective in 2012, the very personal dates projected in 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 have continued to resonate long after Boetti’s premature death in 1994. Boetti’s ‘attempts to master his “own time”’, Cooke observed, ‘to shape it according to his will by spending it as he saw fit ... [was a gamble that] he both won and lost: he did not live to see July 11 2023 as he had predicted, but the centenary of his birth, December 16 2040, will be widely celebrated’ (L. Cooke, ‘Boetti’s Game Plan’, in Alighiero Boetti: Game Plan, exh. cat. Tate, London 2012, p. 27).
Le pouvoir d'action et de transformation du temps est l'une des préoccupations centrales de l'art d'Alighiero Boetti. Si ses œuvres « à dates » sont parmi les premières à soulever cette question, 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 (« 16 décembre 2040 11 juillet 2023 ») en est l'un des exemples les plus précoces. Conçu en 1969, ce diptyque est composé de chiffres et de lettres en liège appliqués sur deux panneaux carrés recouverts de peinture bleue, dans un format proche des Vernici industriali (« peintures industrielles ») de Boetti, réalisés deux ans plus tôt. Il s'agit du premier d'une suite de trois travaux particulièrement évocateurs et profondément personnels, dans lesquels figurent ces mêmes dates, et qualifie par l’artiste « pierres tombales persistantes » (A. Boetti in A. Sauzeau, ‘The Works and Days: Chronology’, in J-C. Ammann (éd.), Alighiero Boetti, Catalogo generale, Vol. I, Milan, 2009, p. 81).
Les deux autres œuvres se présentent sous la forme d'un tandem de tapisseries brodées à la main – produit par Boetti à Kaboul en 1971 - et d'une paire de panneaux en laiton poli, exécutés la même année. Ces « pierres tombales persistantes », telles que les qualifie l'artiste, annoncent deux dates à venir qui correspondent, pour l'une, au centenaire de la naissance de Boetti; pour l'autre, à sa date de décès hypothétique ou présumée.
Le résultat ressemble à une sorte d'épitaphe qui vient énoncer la durée de vie théorique de l'Italien et de son legs, selon une logique conceptuelle vouée à changer, elle aussi, au fil du temps.
Cette œuvre – l'une des premières à voir le jour juste après la période Arte Povera de Boetti à la fin des années 1960 – constitue probablement l'exemple le plus ancien qu'il nous reste d'une composition dans laquelle l'artiste éprouve la force extraordinaire que peuvent véhiculer de simples dates. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 est une réponse intime à trois œuvres de la même époque (désormais perdues) comportant des dates inscrites, comme ici, sur des panneaux bleus. Pour ce projet antérieur, Boetti avait mis à contribution trois femmes, dont son épouse Annemarie : chacune lui avait fait part d'une date future ayant pour elle une signification particulière. « L'une des dates renvoyait à l'année en cours, 1968, se souvient Boetti, une autre indiquait le jour où un tel atteindrait sa majorité ; et la troisième correspondait à la date d'examen d'une personne qui manquait cruellement d'assurance. Ce qui était flagrant dans ce travail, c'était la différence qu'il y avait entre un concept artistique à l'italienne, tel que moi ou l'un de mes pairs aurions pu en imaginer, et le genre d'approche que pourrait avoir, par exemple, On Kawara, qui utilisait aussi des dates... On Kawara en faisait quelque chose de très précis, de très rigoureux ; il mettait un an à réaliser un carré, une structure ; tandis que mon idée reposait sur l'énergie que peut générer une date. J'ai donc pris trois dates et je les ai placées là... Et c'est tout, vous voyez ? » (A. Boetti dans un entretien avec M. Bandini, 1973, in Arte Povera from the Goetz Collection, cat. exp. Neues Museum Weserburg, Brême, 1997, p. 65).
Par cette notion d'« énergie que peut générer une date », Boetti entend que la résonance et la signification d'un jour donné évoluent avec le temps. Une date passée gagne en substance à mesure qu'elle prend de l'âge et s'éloigne de l'instant présent, tandis qu'une date à venir relève de moins en moins du fantasme, et devient donc de plus en plus saisissable, dès lors que son échéance approche. Cette idée de temporalité joue un rôle primordial ici, puisque le sens que l'observateur choisit de donner à 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 dépend étroitement de l'époque à laquelle il l'observe. Comme le soulignait Lynne Cooke en 2012 dans le catalogue de la rétrospective de Boetti à la Tate de Londres, la portée intime des dates annoncées dans 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 continuent d'émettre un écho particulier aujourd'hui encore, bien après le décès prématuré de l'artiste en 1994. Les tentatives de Boetti de « maîtriser son 'propre temps', observe Cooke, pour le modeler selon ses envies et en disposer à sa guise [… est un pari] qu'il a à la fois remporté et perdu : contrairement à ce qu'il avait prédit, il n'a pas vécu jusqu'au 11 juillet 2023, mais le centenaire de sa naissance, le 16 décembre 2040, sera très largement célébré » (L. Cooke, ‘Boetti’s Game Plan’, in Alighiero Boetti: Game Plan, cat. exp., Tate, Londres, 2012, p. 27).
'' Time is something fundamental, the basic principle of everything… Everything has its own time.'' Alighiero Boetti
The active and transformative power of time is one of the central themes of Alighiero Boetti’s art. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 (16 December 2040 11 July 2023) is one of the artist’s very first ‘date’ works, which are among his earliest invocations of this idea. Executed in 1969, using cork letters set onto a pair of square, blue-painted wooden panels in a format reminiscent of the Vernici industriali (‘Industrial Paints’) that he had made two years previously, it is the first of three important, evocative and deeply personal works projecting these dates that Boetti described as ‘continuing tombstones’ (A. Boetti quoted in A. Sauzeau, ‘The Works and Days: Chronology’, in J-C. Ammann (ed.), Alighiero Boetti, Catalogo generale, Vol. I, Milan 2009, p. 81).
The two other examples are an embroidery— made by Boetti in Kabul in 1971— and a pair of polished brass panels from that same year. Boetti referred to these works as ‘continuing tombstones’ because the paired future dates that they display signify first the centenary of his birth, and second his imagined or assumed death-date. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 brackets the artist’s projected life-span and legacy within a conceptual framework that will itself change over time.
Among the first works made directly after Boetti’s involvement with Arte Povera in the late 1960s, this diptych is also probably the earliest extant example of a work in which he sought to explore the extraordinary energy that dates can convey. 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 was a personal response to three other works Boetti had also made around this time—now lost—which likewise displayed dates on blue panels. In the case of these works Boetti had requested future dates of interest from three different women, including his wife, Annemarie. ‘One date was current, in 1968’, Boetti remembered; ‘another was the date on which a certain person would reach his majority; and the third marked the day of a test for a certain insecure person. What was evident in this work was the difference between an Italian artistic concept, such as I or someone else might come up with, and that which might be used, for example, by On Kawara, who also uses dates … On Kawara made something very precise and rigid out of it; for one year he made a square, a structure; whereas my idea was about the energy that a date can give, and so I took three dates and put them there ... And that was all, you see?’ (A. Boetti interviewed by M. Bandini, 1973, in Arte Povera from the Goetz Collection, exh. cat. Neues Museum Weserburg, Bremen 1997, p. 65).
What Boetti meant by ‘the energy that a date can give’ was that, with the passing of time, the resonance and meaning of a fixed date changes. A date that lies in the past gains something as it grows older and more distant, while one that lies in the future becomes less of an imaginative property and more of a graspable concept as it becomes ever closer and more urgent. Time, too, therefore, is demonstrated to be at work in a viewer’s changing perceptions of a work such as 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 as it ages. As Lynne Cooke wrote in the catalogue of Boetti’s Tate retrospective in 2012, the very personal dates projected in 16 DICEMBRE 2040 11 LUGLIO 2023 have continued to resonate long after Boetti’s premature death in 1994. Boetti’s ‘attempts to master his “own time”’, Cooke observed, ‘to shape it according to his will by spending it as he saw fit ... [was a gamble that] he both won and lost: he did not live to see July 11 2023 as he had predicted, but the centenary of his birth, December 16 2040, will be widely celebrated’ (L. Cooke, ‘Boetti’s Game Plan’, in Alighiero Boetti: Game Plan, exh. cat. Tate, London 2012, p. 27).