Lot Essay
« La surface qui définit le contact de notre corps avec le monde réel est celle de notre peau. Le dessin de la peau, une peau de graphite. La mine du crayon est le reflet de la peau de l'univers. » - Giuseppe Penone
Plongeant notre regard dans d'envoûtantes étendues de textures intriquées et pénétrantes, ces deux œuvres-miroirs appartiennent à la série, amorcée en 2002, des Pelle di grafite («Peau de graphite») de Giuseppe Penone. Exécutées en 2004 au graphite – sur fond blanc pour l'une et sur fond noir pour l'autre –, chacune de ces compositions de deux mètres de côté est l'image inversée de l'autre. Comme pour nous induire en erreur, leur sous-titre riflesso di enargite («reflet d'énargite») fait allusion au minéral gris-argenté du même nom, tant leur surface parcourue de stries minutieuses évoque quelque chose de géologique, de cristallin. Et pourtant, ces grands réseaux de zébrures représentent en réalité les pores et les plis de peaux humaines, vues de manière tellement rapprochée qu'elles en deviennent méconnaissables, et ne ressemblent plus qu'à de lumineux territoires empreints de mystère. Le motif de la peau occupe une place centrale dans la production de Penone. Aussi, avec Pelle di grafite, l'artiste approfondit-il les recherches qui jalonnent l'ensemble de sa carrière, autour de la frontière entre le soi et l'autre, la nature et l'être humain, l'intérieur et l'extérieur.
Comme beaucoup d'artistes italiens issus des courants de l'Arte Povera des années 1960, Penone a toujours cherché à réaffirmer et cultiver l'idée de subjectivité, d'individuation, dans un monde en pleine mutation, en proie à la montée galopante de la société de consommation et de l'uniformisation industrielle. Réfractaire aux penchants élitistes des mouvements d'avant-garde dominants, il a largement fondé sa démarche sur des thèmes marqués par une forte portée universelle. L'œuvre de Penone explore notamment la manière dont l'homme, en tant que créature organique, influe sur le monde naturel, et comment cet environnement affecte l'homme à son tour. La peau est le lieu privilégié de cette rencontre entre l'être humain et le monde extérieur: formation sculpturale naturelle, elle constitue une limite physique, une enveloppe et une démarcation de la forme humaine à un instant donné. Elle est le récepteur sensoriel de ce qui se joue au-dehors, la détermination spatio-temporelle de l'individu. Comme une rivière ou l'écorce d'un arbre, elle n'est jamais statique, mais plutôt dans un état de transformation et de flux constant. «La surface qui définit le contact de notre corps avec le réel est celle de notre peau», précise ainsi l'artiste (G. Penone, in G. Maraniello et J. Watkins (éds.), Giuseppe Penone, 2002, p. 280).
Les recherches de Penone s'articulent souvent autour du sens du toucher. En 1969, il donnait notamment à voir dans Una lettura tattile della scorza dell’albero («Une lecture tactile de l'écorce de l'arbre») l'empreinte d'un tronc d'arbre dans son intégralité, obtenue en frottant à la mine de graphite quinze feuilles de papier posées sur son écorce. Dans Svolgere la propria pelle («Dérouler sa peau») (1970-1971), l'artiste photographiait par ailleurs une lame de verre pressée contre différentes parties de son propre corps, de manière à documenter la totalité de son anatomie. Ces centaines de fragments cutanés furent ensuite disposés sous la forme d'une grille, à la manière d'une topographie de son territoire personnel. Avec les œuvres in situ de la série Pressione («Pression») conçues à partir de 1974, il allait plus loin encore en projetant des empreintes magnifiées de son épiderme sur les murs de musées, dont il s'appliquait ensuite à retracer les contours au fusain ou au graphite. Penone «déroulait» ainsi sa propre peau sur les parois d'un espace cloisonné, enveloppant complètement le spectateur dans une vision paradoxale d'intériorité et d'extériorité simultanées. En transformant une vue microscopique de l'épiderme dont nous sommes tous porteurs en paysages miroitants, inattendus, entièrement constitués de lignes et de reflets, les Pelle di grafite sont le fruit de l'évolution captivante de cette pensée tout à fait singulière.
''The surface that defines the contact of our body with the real is our skin. The design of the skin, a skin of graphite. The tip of the pencil mirrors the skin of the universe.'' - Giuseppe Penone
Immersing the viewer in mesmeric expanses of intricate, shimmering texture, the present two works are part of Giuseppe Penone’s Pelle di grafite (Skin of graphite) series, commenced in 2002. These twin examples were made in 2004, and both span two metres in width. Each is the mirror image of the other, with one executed in graphite on a white background and the other on a black background. They are subtitled riflesso di enargite (reflection of enargite), referring to the silver-grey mineral of the same name. Indeed, their faceted surfaces evoke crystalline or geological form. In fact, however, these are images of pored and wrinkled human skin, hugely magnified to become mysterious, gleaming terrains. The skin is a central motif in Penone’s art. With the Pelle di grafite, the artist extends his career-long investigation of the boundaries between self and other, man and nature, and interior and exterior.
Like many other artists who emerged as part of the Arte Povera generation in 1960s Italy, Penone sought to reclaim a sense of individual subjectivity in a fast-changing and increasingly consumerist world. Equally opposed to the elitist tendencies of avant-garde art, he pursued a practice of inclusive and universally resonant themes. He explored how man, as an organic being, effects the natural world around him and is in turn affected by it. The skin is a key site of this encounter between man and nature. A natural sculptural form, it is a physical limit, an encasement and boundary of the human form at any given point in time. It defines the individual and is a sensory receiver of outside conditions. Like a river or the bark of a tree, it is never static but rather in a permanent state of flux and growth. ‘The surface that defines the contact of our body with the real is the skin’, says Penone (G. Penone quoted in G. Maraniello and J. Watkins (eds.), Giuseppe Penone, 2002, p. 280).
Penone’s research often centred around the sense of touch. In 1969, he created Una lettura tattile della scorza dell’albero (A Tactile Reading of the Tree Bark), consisting of the frottage of an entire tree-trunk on fifteen sheets of paper rubbed with graphite. In Svolgere la propria pelle (To unroll one’s skin) (1970-1971), he photographed a glass slide pressed against different parts of his body until he had recorded his entire anatomy. These hundreds of corporeal fragments were then reassembled into a grid, mapping his personal landscape. In site-specific works from his series Pressione (Pressure), from 1974 onwards, he photographed an imprint of his skin, projected its magnified image onto museum walls, and then traced over it with charcoal or graphite. He thus ‘unrolled his own skin’ onto the walls enclosing a space, enveloping visitors in an upending of the internal and external. Penone’s Pelle di grafite works, transforming a microscopic view of the skin we all share into a scintillating, mysterious scape of line and reflection, represent a compelling evolution of these ideas.
Plongeant notre regard dans d'envoûtantes étendues de textures intriquées et pénétrantes, ces deux œuvres-miroirs appartiennent à la série, amorcée en 2002, des Pelle di grafite («Peau de graphite») de Giuseppe Penone. Exécutées en 2004 au graphite – sur fond blanc pour l'une et sur fond noir pour l'autre –, chacune de ces compositions de deux mètres de côté est l'image inversée de l'autre. Comme pour nous induire en erreur, leur sous-titre riflesso di enargite («reflet d'énargite») fait allusion au minéral gris-argenté du même nom, tant leur surface parcourue de stries minutieuses évoque quelque chose de géologique, de cristallin. Et pourtant, ces grands réseaux de zébrures représentent en réalité les pores et les plis de peaux humaines, vues de manière tellement rapprochée qu'elles en deviennent méconnaissables, et ne ressemblent plus qu'à de lumineux territoires empreints de mystère. Le motif de la peau occupe une place centrale dans la production de Penone. Aussi, avec Pelle di grafite, l'artiste approfondit-il les recherches qui jalonnent l'ensemble de sa carrière, autour de la frontière entre le soi et l'autre, la nature et l'être humain, l'intérieur et l'extérieur.
Comme beaucoup d'artistes italiens issus des courants de l'Arte Povera des années 1960, Penone a toujours cherché à réaffirmer et cultiver l'idée de subjectivité, d'individuation, dans un monde en pleine mutation, en proie à la montée galopante de la société de consommation et de l'uniformisation industrielle. Réfractaire aux penchants élitistes des mouvements d'avant-garde dominants, il a largement fondé sa démarche sur des thèmes marqués par une forte portée universelle. L'œuvre de Penone explore notamment la manière dont l'homme, en tant que créature organique, influe sur le monde naturel, et comment cet environnement affecte l'homme à son tour. La peau est le lieu privilégié de cette rencontre entre l'être humain et le monde extérieur: formation sculpturale naturelle, elle constitue une limite physique, une enveloppe et une démarcation de la forme humaine à un instant donné. Elle est le récepteur sensoriel de ce qui se joue au-dehors, la détermination spatio-temporelle de l'individu. Comme une rivière ou l'écorce d'un arbre, elle n'est jamais statique, mais plutôt dans un état de transformation et de flux constant. «La surface qui définit le contact de notre corps avec le réel est celle de notre peau», précise ainsi l'artiste (G. Penone, in G. Maraniello et J. Watkins (éds.), Giuseppe Penone, 2002, p. 280).
Les recherches de Penone s'articulent souvent autour du sens du toucher. En 1969, il donnait notamment à voir dans Una lettura tattile della scorza dell’albero («Une lecture tactile de l'écorce de l'arbre») l'empreinte d'un tronc d'arbre dans son intégralité, obtenue en frottant à la mine de graphite quinze feuilles de papier posées sur son écorce. Dans Svolgere la propria pelle («Dérouler sa peau») (1970-1971), l'artiste photographiait par ailleurs une lame de verre pressée contre différentes parties de son propre corps, de manière à documenter la totalité de son anatomie. Ces centaines de fragments cutanés furent ensuite disposés sous la forme d'une grille, à la manière d'une topographie de son territoire personnel. Avec les œuvres in situ de la série Pressione («Pression») conçues à partir de 1974, il allait plus loin encore en projetant des empreintes magnifiées de son épiderme sur les murs de musées, dont il s'appliquait ensuite à retracer les contours au fusain ou au graphite. Penone «déroulait» ainsi sa propre peau sur les parois d'un espace cloisonné, enveloppant complètement le spectateur dans une vision paradoxale d'intériorité et d'extériorité simultanées. En transformant une vue microscopique de l'épiderme dont nous sommes tous porteurs en paysages miroitants, inattendus, entièrement constitués de lignes et de reflets, les Pelle di grafite sont le fruit de l'évolution captivante de cette pensée tout à fait singulière.
''The surface that defines the contact of our body with the real is our skin. The design of the skin, a skin of graphite. The tip of the pencil mirrors the skin of the universe.'' - Giuseppe Penone
Immersing the viewer in mesmeric expanses of intricate, shimmering texture, the present two works are part of Giuseppe Penone’s Pelle di grafite (Skin of graphite) series, commenced in 2002. These twin examples were made in 2004, and both span two metres in width. Each is the mirror image of the other, with one executed in graphite on a white background and the other on a black background. They are subtitled riflesso di enargite (reflection of enargite), referring to the silver-grey mineral of the same name. Indeed, their faceted surfaces evoke crystalline or geological form. In fact, however, these are images of pored and wrinkled human skin, hugely magnified to become mysterious, gleaming terrains. The skin is a central motif in Penone’s art. With the Pelle di grafite, the artist extends his career-long investigation of the boundaries between self and other, man and nature, and interior and exterior.
Like many other artists who emerged as part of the Arte Povera generation in 1960s Italy, Penone sought to reclaim a sense of individual subjectivity in a fast-changing and increasingly consumerist world. Equally opposed to the elitist tendencies of avant-garde art, he pursued a practice of inclusive and universally resonant themes. He explored how man, as an organic being, effects the natural world around him and is in turn affected by it. The skin is a key site of this encounter between man and nature. A natural sculptural form, it is a physical limit, an encasement and boundary of the human form at any given point in time. It defines the individual and is a sensory receiver of outside conditions. Like a river or the bark of a tree, it is never static but rather in a permanent state of flux and growth. ‘The surface that defines the contact of our body with the real is the skin’, says Penone (G. Penone quoted in G. Maraniello and J. Watkins (eds.), Giuseppe Penone, 2002, p. 280).
Penone’s research often centred around the sense of touch. In 1969, he created Una lettura tattile della scorza dell’albero (A Tactile Reading of the Tree Bark), consisting of the frottage of an entire tree-trunk on fifteen sheets of paper rubbed with graphite. In Svolgere la propria pelle (To unroll one’s skin) (1970-1971), he photographed a glass slide pressed against different parts of his body until he had recorded his entire anatomy. These hundreds of corporeal fragments were then reassembled into a grid, mapping his personal landscape. In site-specific works from his series Pressione (Pressure), from 1974 onwards, he photographed an imprint of his skin, projected its magnified image onto museum walls, and then traced over it with charcoal or graphite. He thus ‘unrolled his own skin’ onto the walls enclosing a space, enveloping visitors in an upending of the internal and external. Penone’s Pelle di grafite works, transforming a microscopic view of the skin we all share into a scintillating, mysterious scape of line and reflection, represent a compelling evolution of these ideas.