Lot Essay
Rare dessin du Primatice, vraisemblablement réalisé au tout début des années 1540, la présente feuille est une étude préparatoire à une fresque de la Porte Dorée du château de Fontainebleau figurant Hercule combattant les habitants de Cos (fig. 1).
Un artiste italien au service du roi de France
Né à Bologne, et formé sur les chantiers du Palazzo Te à Mantoue, le Primatice arrive en France en 1532. A cette époque, la rénovation de Fontainebleau est un chantier majeur pour François Ier qui y emploie plusieurs artistes italiens dans différentes spécialités, c’est principalement à ce grand-œuvre que s’affaire le Primatice. En tant que représentant clef de la première école de Fontainebleau, il contribuera largement à importer le style italien en France : décors de stuc, peintures, fresques et sculptures l’occuperont durablement. S’il travaille d’abord sous la direction de Giulio Romano et Rosso Fiorentino, il se voit rapidement confié des chantiers importants et dès 1533, il dirige les travaux de la Chambre du Roi et de la Chambre de la Reine. Dans les années 1540, la mort ou le départ de ses tuteurs lui permettent de s’imposer comme une figure centrale des projets artistiques de la monarchie.
Un dessin préparatoire pour le décor de la Porte Dorée
La Porte Dorée constituait l’entrée principale du château de Fontainebleau sous François Ier. Son décor revêtait une importance toute particulière en tant que première démonstration de pouvoir du roi de France auprès de ses invités et manifestation de la modernité artistique voulue par le monarque. Le présent dessin est une étude préparatoire à une des fresques qui ornent la voûte de la Porte (Cordellier, op. cit., 2019). Le Primatice y déploie un cycle narratif autour de l’Iliade complété par des sources secondaires. Les Comptes des Bâtiments du Roi fournissent la date de réalisation de ses peintures par le Primatice et son équipe entre 1543 et 1546. Le dessin serait donc antérieur à ces travaux.
Les figures représentées peuvent être directement mise en relation avec une scène du cycle narratif des fresques — lourdement restaurées en 1835 et ayant récemment fait l’objet d’une nouvelle restauration. La présente composition se rapproche également d'un dessin réalisé d’après les esquisses dessinées originales de Primatice, aujourd’hui perdues conservé à l'Albertina de Vienne (inv. 417 ; fig. 2). Ainsi l’homme debout à droite du dessin apparait à gauche sous la forme d’un soldat, le personnage au centre est figuré à la même place, habillé d’une toge et tenant une épée tandis que la dernière étude montre Hercule coiffé de la peau du Lion de Némée et tenant sa massue sur la droite du projet final. La scène décrit la défense des habitants de l’île de Cos contre Hercule. Le Primatice a certainement puisé dans la Bibliothèque d’Apollodore pour choisir son sujet, on y lit au second livre :
‘Héraclès voulut aborder à Cos, mais les habitants, croyant qu’il était à la tête d’une troupe de pirates, s’efforcèrent de l’empêcher d’aborder en lui jetant des pierres. Mais il s’empara de l’île de vive force et tua le roi Eurypylos, fils d’Astypalaia et de Poséidon. Dans le combat, Héraclès fut blessé par Chacôdon, mais Zeus l’enleva et il n’eut pas d’autre mal’ (J.-Cl. Carrière, B. Massonie, La Bibliothèque d'Apollodore, traduite, annotée et commentée, Besançon, 1991, p. 76, Livre II, chap. 7, § 2).
Une étude d’anatomie sous l’influence de Michel-Ange
Les esquisses minimales des têtes et des visages ne laissent aucun doute quant au point de focale du dessin : il s’agit avant tout d’une anatomie. La présente étude est d’autant plus remarquable qu’elle montre non seulement l’étude des corps mais aussi les squelettes sous-jacents, représentés à côté des corps nus, sous forme de membres isolés. Cette particularité notamment dans un autre dessin du Primatice également conservé à l'Albertina de Vienne (inv. 1977 ; D. Cordellier, Primatice, maître de Fontainebleau, Paris, 2004, n°46). Depuis le XVe siècle, la construction des corps en partant des os puis en ajoutant les muscles et la peau a suscité un intérêt grandissant chez les artistes. C’est d’ailleurs le procédé que recommande Alberti en 1435 dans son De Pictura (chapitre 161). Au moment de la réalisation du dessin, l’anatomie suscite d’ailleurs de vif débats dans le champ artistique et scientifique avec la dissection publique de Vésale à Bologne en 1540 suivi par la publication du De humani corporis fabrica en 1543.
Selon D. Cordellier, le dessin emprunte peut-être à une anatomie de Michel-Ange (Cordellier, op. cit., 2019). Sur la feuille, le bras représenté isolé en muscle et en os pourrait renvoyer à un dessin copié d’après Michel-Ange et conservé au Musée Fabre de Montpellier (inv. 202), signe que le maître de la Sixtine demeurait une référence surtout dans le cadre d’un projet de fresque.
Dans un traitement très proche et dans une technique similaire, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris conserve une étude d’Hercule destiné à une autre fresque de la Porte Dorée (inv. M1156) illustrant le processus de travail du Primatice : le visage est laissé à l’état d’ébauche, quand les contours du corps sont rapidement cernés par un trait sûr qui s’affine ensuite ; les ombres sont traitées en bloc au moyen de hachures maîtrisées et régulières ; les lumières sont finalement distribuées, en de vives et fines touches, par des rehauts de gouache blanche.
Benjamin Fillon, un collectionneur éclairé de la Renaissance française
Redécouverte et étudiée récemment par Dominique Cordellier (op. cit., 2019), cette délicate étude de figures nues a appartenu à Benjamin Fillon, juge à la Roche-sur-Yon en Vendée, nommé préfet du département en 1870. Historien de l’art, ayant d’ailleurs collaboré à la Société de l’histoire de l’art français, il possédait une importante collection de curiosités poitevines du XIXe siècle et quelques dessins importants, dont la présente feuille.
Fig. 1 : F. Primatice et atelier, Hercule abordant à l’île de Cos et blessé par Chacodon, fresque, Château de Fontainebleau
Fig. 2 : D’après F. Primatice, Hercule abordant à l’île de Cos et blessé par Chacodon, plume et lavis brun, Vienne, Albertina Museum
Un artiste italien au service du roi de France
Né à Bologne, et formé sur les chantiers du Palazzo Te à Mantoue, le Primatice arrive en France en 1532. A cette époque, la rénovation de Fontainebleau est un chantier majeur pour François Ier qui y emploie plusieurs artistes italiens dans différentes spécialités, c’est principalement à ce grand-œuvre que s’affaire le Primatice. En tant que représentant clef de la première école de Fontainebleau, il contribuera largement à importer le style italien en France : décors de stuc, peintures, fresques et sculptures l’occuperont durablement. S’il travaille d’abord sous la direction de Giulio Romano et Rosso Fiorentino, il se voit rapidement confié des chantiers importants et dès 1533, il dirige les travaux de la Chambre du Roi et de la Chambre de la Reine. Dans les années 1540, la mort ou le départ de ses tuteurs lui permettent de s’imposer comme une figure centrale des projets artistiques de la monarchie.
Un dessin préparatoire pour le décor de la Porte Dorée
La Porte Dorée constituait l’entrée principale du château de Fontainebleau sous François Ier. Son décor revêtait une importance toute particulière en tant que première démonstration de pouvoir du roi de France auprès de ses invités et manifestation de la modernité artistique voulue par le monarque. Le présent dessin est une étude préparatoire à une des fresques qui ornent la voûte de la Porte (Cordellier, op. cit., 2019). Le Primatice y déploie un cycle narratif autour de l’Iliade complété par des sources secondaires. Les Comptes des Bâtiments du Roi fournissent la date de réalisation de ses peintures par le Primatice et son équipe entre 1543 et 1546. Le dessin serait donc antérieur à ces travaux.
Les figures représentées peuvent être directement mise en relation avec une scène du cycle narratif des fresques — lourdement restaurées en 1835 et ayant récemment fait l’objet d’une nouvelle restauration. La présente composition se rapproche également d'un dessin réalisé d’après les esquisses dessinées originales de Primatice, aujourd’hui perdues conservé à l'Albertina de Vienne (inv. 417 ; fig. 2). Ainsi l’homme debout à droite du dessin apparait à gauche sous la forme d’un soldat, le personnage au centre est figuré à la même place, habillé d’une toge et tenant une épée tandis que la dernière étude montre Hercule coiffé de la peau du Lion de Némée et tenant sa massue sur la droite du projet final. La scène décrit la défense des habitants de l’île de Cos contre Hercule. Le Primatice a certainement puisé dans la Bibliothèque d’Apollodore pour choisir son sujet, on y lit au second livre :
‘Héraclès voulut aborder à Cos, mais les habitants, croyant qu’il était à la tête d’une troupe de pirates, s’efforcèrent de l’empêcher d’aborder en lui jetant des pierres. Mais il s’empara de l’île de vive force et tua le roi Eurypylos, fils d’Astypalaia et de Poséidon. Dans le combat, Héraclès fut blessé par Chacôdon, mais Zeus l’enleva et il n’eut pas d’autre mal’ (J.-Cl. Carrière, B. Massonie, La Bibliothèque d'Apollodore, traduite, annotée et commentée, Besançon, 1991, p. 76, Livre II, chap. 7, § 2).
Une étude d’anatomie sous l’influence de Michel-Ange
Les esquisses minimales des têtes et des visages ne laissent aucun doute quant au point de focale du dessin : il s’agit avant tout d’une anatomie. La présente étude est d’autant plus remarquable qu’elle montre non seulement l’étude des corps mais aussi les squelettes sous-jacents, représentés à côté des corps nus, sous forme de membres isolés. Cette particularité notamment dans un autre dessin du Primatice également conservé à l'Albertina de Vienne (inv. 1977 ; D. Cordellier, Primatice, maître de Fontainebleau, Paris, 2004, n°46). Depuis le XVe siècle, la construction des corps en partant des os puis en ajoutant les muscles et la peau a suscité un intérêt grandissant chez les artistes. C’est d’ailleurs le procédé que recommande Alberti en 1435 dans son De Pictura (chapitre 161). Au moment de la réalisation du dessin, l’anatomie suscite d’ailleurs de vif débats dans le champ artistique et scientifique avec la dissection publique de Vésale à Bologne en 1540 suivi par la publication du De humani corporis fabrica en 1543.
Selon D. Cordellier, le dessin emprunte peut-être à une anatomie de Michel-Ange (Cordellier, op. cit., 2019). Sur la feuille, le bras représenté isolé en muscle et en os pourrait renvoyer à un dessin copié d’après Michel-Ange et conservé au Musée Fabre de Montpellier (inv. 202), signe que le maître de la Sixtine demeurait une référence surtout dans le cadre d’un projet de fresque.
Dans un traitement très proche et dans une technique similaire, l’Ecole des Beaux-Arts de Paris conserve une étude d’Hercule destiné à une autre fresque de la Porte Dorée (inv. M1156) illustrant le processus de travail du Primatice : le visage est laissé à l’état d’ébauche, quand les contours du corps sont rapidement cernés par un trait sûr qui s’affine ensuite ; les ombres sont traitées en bloc au moyen de hachures maîtrisées et régulières ; les lumières sont finalement distribuées, en de vives et fines touches, par des rehauts de gouache blanche.
Benjamin Fillon, un collectionneur éclairé de la Renaissance française
Redécouverte et étudiée récemment par Dominique Cordellier (op. cit., 2019), cette délicate étude de figures nues a appartenu à Benjamin Fillon, juge à la Roche-sur-Yon en Vendée, nommé préfet du département en 1870. Historien de l’art, ayant d’ailleurs collaboré à la Société de l’histoire de l’art français, il possédait une importante collection de curiosités poitevines du XIXe siècle et quelques dessins importants, dont la présente feuille.
Fig. 1 : F. Primatice et atelier, Hercule abordant à l’île de Cos et blessé par Chacodon, fresque, Château de Fontainebleau
Fig. 2 : D’après F. Primatice, Hercule abordant à l’île de Cos et blessé par Chacodon, plume et lavis brun, Vienne, Albertina Museum