Lot Essay
« Les œuvres au stylo-bille sont donc des concentrés de temps ; à mes yeux, elles suscitent, physiquement, l'impression d'un laps de temps immense, dilaté. » - Alighiero Boetti
Œuvre monumentale de près de trois mètres de large, Senza prima né dopo (« Sans avant ni après ») (1991) est issue de la série radicalement innovante de compositions au stylo-bille d'Alighiero Boetti. Elle donne à voir un ensemble de virgules blanches, disséminées de part et d'autre d'un vaste arrière-plan densément recouvert de zébrures appliquées au stylo bleu. Chaque virgule renvoie, selon une lecture horizontale, à l'une des vingt-six lettres de l'alphabet qui longent la partie gauche. Si ce nuage de signes de ponctuation évoque de prime abord une sorte de casse-tête abstrait, ils est en réalité régi par un système tout à fait logique: lorsqu'on les décode dans l'ordre, de gauche à droite, les virgules épèlent le titre de l'œuvre, à raison d'un mot par panneau. Le résultat, comme une constellation dans un ciel nocturne, est à la fois impénétrable et parfaitement limpide: une énigme et sa solution, nichées dans une image envoûtante et raffinée. Traduisant l'idée de l'éternelle interconnexion entre toutes choses, Senza prima né dopo, l'une des formules privilégiées de Boetti, est aussi la pierre angulaire de plusieurs de ses œuvres tissées.
Amorcés au début des années 1970, ces panneaux travaillés au stylo-bille voient le jour au même moment que les Arazzi (ou « tapisseries »), marquant réellement le début de la pratique conceptuelle de Boetti. Ils sont constitués de grandes étendues monochromes, entièrement colorées par petites stries incisives d'une intensité et d'une saturation variables, sur lesquelles viennent se poser, ça et là, des lettres et des symboles. Comme les Arazzi, ces œuvres sont le fruit d'une approche collaborative. Ici, Boetti met à contribution des intervenants chargés de remplir les arrière-plans au stylo selon ses instructions : l'artiste accepte ainsi de se soumettre au rythme et à la vitesse imprévisibles de la main de chacun. Dans l'esprit de l'Arte Povera, le stylo-bille, modeste objet du quotidien, y devient le vecteur de révélations profondes, leurs couleurs monotones divulguant soudain tout une gamme de nuances surprenantes, et leurs textures s'étoffant d'une grande richesse picturale. Avec ses vagues de bleu canard et de cobalt, le rendu de Senza prima né dopo est particulièrement somptueux ; le troisième panneau, tout en hachures obliques, dégage notamment quelque chose de très expressif et de tout à fait saisissant.
L'idée que le temps et l'espace ne sont ni fixes, ni linéaires, se trouve au fondement-même de la démarche de Boetti. Ses œuvres jouent volontiers avec les lignes temporelles et les frontières géographiques : notamment celles qui s'articulent autour de dates et de calendriers, ou encore les Mappe et autres Arazzi, réalisés en association avec des brodeuses afghanes. Les compositions au stylo sont porteuses, selon l'artiste, d'abondantes réserves de temps, emmagasinées dans le tracé laborieux de ses collaborateurs. « Chacun a sa propre présence corporelle, sa substance : c'est avant tout physiquement qu'ils ont rempli la feuille de papier, précise-t-il. C'est vraiment une réalité matérielle. Les œuvres au stylo-bille sont donc des concentrés de temps ; à mes yeux, elles suscitent, physiquement, l'impression d'un laps de temps immense, dilaté » (A. Boetti dans un entretien avec Bruno Corà, in Alighiero Boetti: Game Plan, cat. exp., Tate Modern, Londres, 2012, p. 208). Un message d'éternité et d'absolu que Senza prima né dopo distille, avec une sobriété très lyrique, dans le bleu profond de son propre espace-temps.
''The works with the Biro are concentrates of time, for me, in a physical way, they give the sensation of a huge, expanded time frame.'' - Alighiero Boetti
Spanning almost three metres in width, Senza prima né dopo (Without before or after) (1991) is a monumental work from Alighiero Boetti’s revolutionary series of ballpoint pen compositions. It consists of a series of white commas scattered across a vast, richly variegated blue biro backdrop. Every comma matches up to a letter of the alphabetic key which runs down the left-hand side. Initially looking like an abstract conundrum, the commas resolve to spell out the work’s title when read from left to right. Each panel is dedicated to a single word. The result, like a constellation in the night sky, is at once enigmatic and self-evident: a riddle and a solution wrapped into a bewitching, elegant expression. The phrase Senza prima né dopo—capturing a sense of the timeless, endless interconnectedness of all things—was a favourite of Boetti’s, appearing in multiple embroidered works as well as the present composition.
Begun in the early 1970s, Boetti’s biro works were contemporaneous with his tapestries, or Arazzi, and marked the beginning of his conceptual practice in earnest. They consist of coloured monochrome biro backdrops punctuated by letters and symbols, and are rendered in short, rapid strokes that vary in density and saturation. Like the Arazzi, they saw Boetti embrace the aesthetics of collaboration, inviting other people to fill in the biro grounds according to his instructions, and submitting to the unpredictable speed and rhythm of their hands. In the spirit of Arte Povera, the humble, everyday ballpoint pen became a vehicle for profound revelation, its predetermined colours alive with nuance and its textures full of painterly magic. The present work’s surface is especially sumptuous, featuring variegated passages of peacock and cobalt blue; the third panel, with its expressive diagonal hatching, has a characterful energy of its own.
The notion that time and place were neither fixed nor linear concepts was central to Boetti’s practice. His works played freely with geographical and temporal boundaries, from the Mappe and Arazzi, forged in collaboration with artisanal weavers in Afghanistan, to his frequent invocation of dates and calendars. The biro works, he explained, contained immense deposits of time, accumulated in the dense marks inscribed by his collaborators. ‘Everyone has their bodily self, their fullness: above all they’ve physically filled the sheet of paper’, he said. ‘It’s really a physical fact. So, the works with the Biro are concentrates of time, for me, in a physical way, they give the sensation of a huge, expanded time frame’ (A. Boetti, quoted in conversation with Bruno Corà, in Alighiero Boetti: Game Plan, exh. cat. Tate Modern, London 2012, p. 208). Senza prima né dopo, with lyrical simplicity, spells out its message of infinity in a deep blue field of time and space.
Œuvre monumentale de près de trois mètres de large, Senza prima né dopo (« Sans avant ni après ») (1991) est issue de la série radicalement innovante de compositions au stylo-bille d'Alighiero Boetti. Elle donne à voir un ensemble de virgules blanches, disséminées de part et d'autre d'un vaste arrière-plan densément recouvert de zébrures appliquées au stylo bleu. Chaque virgule renvoie, selon une lecture horizontale, à l'une des vingt-six lettres de l'alphabet qui longent la partie gauche. Si ce nuage de signes de ponctuation évoque de prime abord une sorte de casse-tête abstrait, ils est en réalité régi par un système tout à fait logique: lorsqu'on les décode dans l'ordre, de gauche à droite, les virgules épèlent le titre de l'œuvre, à raison d'un mot par panneau. Le résultat, comme une constellation dans un ciel nocturne, est à la fois impénétrable et parfaitement limpide: une énigme et sa solution, nichées dans une image envoûtante et raffinée. Traduisant l'idée de l'éternelle interconnexion entre toutes choses, Senza prima né dopo, l'une des formules privilégiées de Boetti, est aussi la pierre angulaire de plusieurs de ses œuvres tissées.
Amorcés au début des années 1970, ces panneaux travaillés au stylo-bille voient le jour au même moment que les Arazzi (ou « tapisseries »), marquant réellement le début de la pratique conceptuelle de Boetti. Ils sont constitués de grandes étendues monochromes, entièrement colorées par petites stries incisives d'une intensité et d'une saturation variables, sur lesquelles viennent se poser, ça et là, des lettres et des symboles. Comme les Arazzi, ces œuvres sont le fruit d'une approche collaborative. Ici, Boetti met à contribution des intervenants chargés de remplir les arrière-plans au stylo selon ses instructions : l'artiste accepte ainsi de se soumettre au rythme et à la vitesse imprévisibles de la main de chacun. Dans l'esprit de l'Arte Povera, le stylo-bille, modeste objet du quotidien, y devient le vecteur de révélations profondes, leurs couleurs monotones divulguant soudain tout une gamme de nuances surprenantes, et leurs textures s'étoffant d'une grande richesse picturale. Avec ses vagues de bleu canard et de cobalt, le rendu de Senza prima né dopo est particulièrement somptueux ; le troisième panneau, tout en hachures obliques, dégage notamment quelque chose de très expressif et de tout à fait saisissant.
L'idée que le temps et l'espace ne sont ni fixes, ni linéaires, se trouve au fondement-même de la démarche de Boetti. Ses œuvres jouent volontiers avec les lignes temporelles et les frontières géographiques : notamment celles qui s'articulent autour de dates et de calendriers, ou encore les Mappe et autres Arazzi, réalisés en association avec des brodeuses afghanes. Les compositions au stylo sont porteuses, selon l'artiste, d'abondantes réserves de temps, emmagasinées dans le tracé laborieux de ses collaborateurs. « Chacun a sa propre présence corporelle, sa substance : c'est avant tout physiquement qu'ils ont rempli la feuille de papier, précise-t-il. C'est vraiment une réalité matérielle. Les œuvres au stylo-bille sont donc des concentrés de temps ; à mes yeux, elles suscitent, physiquement, l'impression d'un laps de temps immense, dilaté » (A. Boetti dans un entretien avec Bruno Corà, in Alighiero Boetti: Game Plan, cat. exp., Tate Modern, Londres, 2012, p. 208). Un message d'éternité et d'absolu que Senza prima né dopo distille, avec une sobriété très lyrique, dans le bleu profond de son propre espace-temps.
''The works with the Biro are concentrates of time, for me, in a physical way, they give the sensation of a huge, expanded time frame.'' - Alighiero Boetti
Spanning almost three metres in width, Senza prima né dopo (Without before or after) (1991) is a monumental work from Alighiero Boetti’s revolutionary series of ballpoint pen compositions. It consists of a series of white commas scattered across a vast, richly variegated blue biro backdrop. Every comma matches up to a letter of the alphabetic key which runs down the left-hand side. Initially looking like an abstract conundrum, the commas resolve to spell out the work’s title when read from left to right. Each panel is dedicated to a single word. The result, like a constellation in the night sky, is at once enigmatic and self-evident: a riddle and a solution wrapped into a bewitching, elegant expression. The phrase Senza prima né dopo—capturing a sense of the timeless, endless interconnectedness of all things—was a favourite of Boetti’s, appearing in multiple embroidered works as well as the present composition.
Begun in the early 1970s, Boetti’s biro works were contemporaneous with his tapestries, or Arazzi, and marked the beginning of his conceptual practice in earnest. They consist of coloured monochrome biro backdrops punctuated by letters and symbols, and are rendered in short, rapid strokes that vary in density and saturation. Like the Arazzi, they saw Boetti embrace the aesthetics of collaboration, inviting other people to fill in the biro grounds according to his instructions, and submitting to the unpredictable speed and rhythm of their hands. In the spirit of Arte Povera, the humble, everyday ballpoint pen became a vehicle for profound revelation, its predetermined colours alive with nuance and its textures full of painterly magic. The present work’s surface is especially sumptuous, featuring variegated passages of peacock and cobalt blue; the third panel, with its expressive diagonal hatching, has a characterful energy of its own.
The notion that time and place were neither fixed nor linear concepts was central to Boetti’s practice. His works played freely with geographical and temporal boundaries, from the Mappe and Arazzi, forged in collaboration with artisanal weavers in Afghanistan, to his frequent invocation of dates and calendars. The biro works, he explained, contained immense deposits of time, accumulated in the dense marks inscribed by his collaborators. ‘Everyone has their bodily self, their fullness: above all they’ve physically filled the sheet of paper’, he said. ‘It’s really a physical fact. So, the works with the Biro are concentrates of time, for me, in a physical way, they give the sensation of a huge, expanded time frame’ (A. Boetti, quoted in conversation with Bruno Corà, in Alighiero Boetti: Game Plan, exh. cat. Tate Modern, London 2012, p. 208). Senza prima né dopo, with lyrical simplicity, spells out its message of infinity in a deep blue field of time and space.