拍品專文
Dans les années précédant le séjour d’Hendrick Goltzius en Italie, entre octobre 1590 et la fin de l’année suivante, il a travaillé à une vaste série de dessins préparatoires à des estampes représentant les Métamorphoses d’Ovide (1). Il semble que Goltzius avait l’intention d’illustrer vingt épisodes pour chacun des quinze livres du poème latin, mais le projet ne fut jamais achevé et on ne connaît que vingt estampes pour les deux premiers livres, tandis que douze gravures pour le troisième livre furent publiées à titre posthume en 1615 (2). Même inachevée, la série est l’un des ensembles d’illustrations les plus attrayants et les plus impressionnants du chef-d’œuvre d’Ovide, que Karel van Mander surnommait dans son commentaire de 1604 la « Bible du peintre » (« Schilders Bybel »).
Les estampes, toutes de taille égale, ont été gravées dans l’atelier florissant de Goltzius, laissant les dessins préparatoires comme seules œuvres autographes liées au projet. Onze d’entre eux sont connus ; tous, à l’exception du présent exemple, se trouvent dans des collections publiques : au Victoria and Albert Museum de Londres, aux musées d’Amiens et de Besançon, au Metropolitan Museum of Art, au cabinet d’estampes de l’université de Leyde, au Muzeum Narodowe à Gdańsk, ainsi qu’à la Hamburger Kunsthalle, qui en possède quatre (3). Le dessin de New York, seul exemplaire dans une collection américaine, n’a été redécouvert que lors de sa vente chez Christie’s à Amsterdam le 28 novembre 1992 (lot 519) (4). La présente feuille, recensée parmi les trésors du collectionneur de Delft du début du XVIIIe siècle Valerius Röver, n’est réapparue qu’en 1994, également chez Christie’s à Amsterdam.
Le présent dessin et la gravure anonyme de même taille qui lui fait suite, datée de 1589 (fig. 1) (5), illustrent l’histoire du mauvais roi d’Arcadie, Lycaon, et sa chute causée par Jupiter lorsque le dieu vint inspecter son royaume (livre I, versets 209-243). L’histoire d’Ovide avait déjà été traitée dans l’art néerlandais par ce qui est probablement un carton de l’entourage de Pieter Coecke van Aelst (6). Contrairement à cet artiste, Goltzius s’est entièrement concentré sur le point culminant de l’histoire : Jupiter, accompagné de son aigle et assis à un banquet au cours duquel on lui offre les membres cuits d’un des sujets assassinés de Lycaon, « d’un feu vengeur, fit écrouler sa maison » (versets 230-231), et transforme en loup le roi tentant de fuir.
Pour la composition générale et les poses de Jupiter et de Lycaon, Goltzius semble s’être directement inspiré du populaire recueil d’illustrations de Bernard Salomon pour La Métamorphose d’Ovide figuree de 1557, ouvrage qui avait préalablement déjà inspiré Virgil Solis pour ses illustrations d’Ovide publiées en 1571 (7). Toutefois, l’œuvre de Goltzius dépasse le rendu de ces premières estampes de par la tension dramatique et fébrile de son trait qui confère à ses figures – y compris l’aigle sous la table – une présence musclée et une monumentalité dynamique, dérivées des modèles de Bartholomeus Spranger. Inévitablement, l’exécution de la version gravée apporte une certaine rigidité à la scène. Elle rend cependant bien l’intéraction entre les deux protagonistes, le serviteur surpris et l’aigle menaçant, et traduit avec succès en noir et blanc les contrastes marqués entre les lavis profonds et les gestes plus subtils de Goltzius, ainsi que les zones laissées en réserve ou rehaussées à la gouache. Alors que Goltzius détaille finement les compositions dans certains dessins de la série, il adopte ici une approche plus picturale, comme c’est aussi le cas dans le dessin de Leyde (8).
Fig. 1. Hendrick Goltzius, Lycaon transformé en loup. Gravure au burin. Rijksprentenkabinet, Amsterdam, inv. RP-P-1882-A-6351.
(1) Reznicek, op. cit., 1961, I, pp. 73-74.
(2) Leesberg, op. cit., nos 532-551, 552-571, 572-583, ill.
(3) Reznicek, op. cit., 1961, I, nos 99-104, ZW 10, II, figs. 119-124 ; E.K. Reznicek, ‘Drawings by Hendrick Goltzius, Thirty Years Later. Supplement to the 1961 catalogue raisonné’, Master Drawings, XXXI, no 3, automne 1993, nos 98a, 99a ; A. Stefes, Kupferstichkabinett. Niederländische Zeichnungen 1450-1850, Cologne, Weimar et Vienne, 2011, I, nos 362-365, III, ill. ; J. Shoaf Turner in Catalogue of Dutch and Flemish Drawings in the Victoria and Albert Museum, London, 2014, I, no 71, ill. p. 120. Pour les gravures, voir Leesberg, op. cit., nos 534, 545, 550, 554, 556, 558, 572-574, 582, ill.
(4) Inv. 1992.376 (Reznicek, op. cit., 1993, no 99a, fig. 26 ; N.M. Orenstein in Hendrick Goltzius (1558-1617). Drawings, Prints and Paintings, cat. exp., Amsterdam, Rijksmuseum, New York, The Metropolitan Museum of Art, et Toledo, Ohio, The Toledo Museum of Art, 2003-2004, no 38, ill.).
(5) Leesberg, op. cit., no 540, ill.
(6) S. Alsteens in From Floris to Rubens. Master Drawings from a Belgian Private Collection, cat. exp., Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, et Maastricht, Bonnefanten Museum, 2016, no 7, ill.
(7) Hollstein’s German engravings, etchings and woodcuts, 1400-1700, LXVIII, Virgil Solis. Book Illustrations, Ouderkerk aan den IJssel, 2006, no 1734/56.8. Pour les illustrations de Salomon, voir P. Sharratt, Bernard Salomon, illustrateur lyonnais, Genève, 2005, pp. 150-165, figs. 208-225.
(8) Inv. PK-T-AW-530 (Reznicek, op. cit., 1961, I, no 100, II, fig. 120 ; G.J. van der Sman in For Study and Delight. Drawings and Prints from Leiden University, Leiden, 2016, no 2.10, ill.).
Les estampes, toutes de taille égale, ont été gravées dans l’atelier florissant de Goltzius, laissant les dessins préparatoires comme seules œuvres autographes liées au projet. Onze d’entre eux sont connus ; tous, à l’exception du présent exemple, se trouvent dans des collections publiques : au Victoria and Albert Museum de Londres, aux musées d’Amiens et de Besançon, au Metropolitan Museum of Art, au cabinet d’estampes de l’université de Leyde, au Muzeum Narodowe à Gdańsk, ainsi qu’à la Hamburger Kunsthalle, qui en possède quatre (3). Le dessin de New York, seul exemplaire dans une collection américaine, n’a été redécouvert que lors de sa vente chez Christie’s à Amsterdam le 28 novembre 1992 (lot 519) (4). La présente feuille, recensée parmi les trésors du collectionneur de Delft du début du XVIIIe siècle Valerius Röver, n’est réapparue qu’en 1994, également chez Christie’s à Amsterdam.
Le présent dessin et la gravure anonyme de même taille qui lui fait suite, datée de 1589 (fig. 1) (5), illustrent l’histoire du mauvais roi d’Arcadie, Lycaon, et sa chute causée par Jupiter lorsque le dieu vint inspecter son royaume (livre I, versets 209-243). L’histoire d’Ovide avait déjà été traitée dans l’art néerlandais par ce qui est probablement un carton de l’entourage de Pieter Coecke van Aelst (6). Contrairement à cet artiste, Goltzius s’est entièrement concentré sur le point culminant de l’histoire : Jupiter, accompagné de son aigle et assis à un banquet au cours duquel on lui offre les membres cuits d’un des sujets assassinés de Lycaon, « d’un feu vengeur, fit écrouler sa maison » (versets 230-231), et transforme en loup le roi tentant de fuir.
Pour la composition générale et les poses de Jupiter et de Lycaon, Goltzius semble s’être directement inspiré du populaire recueil d’illustrations de Bernard Salomon pour La Métamorphose d’Ovide figuree de 1557, ouvrage qui avait préalablement déjà inspiré Virgil Solis pour ses illustrations d’Ovide publiées en 1571 (7). Toutefois, l’œuvre de Goltzius dépasse le rendu de ces premières estampes de par la tension dramatique et fébrile de son trait qui confère à ses figures – y compris l’aigle sous la table – une présence musclée et une monumentalité dynamique, dérivées des modèles de Bartholomeus Spranger. Inévitablement, l’exécution de la version gravée apporte une certaine rigidité à la scène. Elle rend cependant bien l’intéraction entre les deux protagonistes, le serviteur surpris et l’aigle menaçant, et traduit avec succès en noir et blanc les contrastes marqués entre les lavis profonds et les gestes plus subtils de Goltzius, ainsi que les zones laissées en réserve ou rehaussées à la gouache. Alors que Goltzius détaille finement les compositions dans certains dessins de la série, il adopte ici une approche plus picturale, comme c’est aussi le cas dans le dessin de Leyde (8).
Fig. 1. Hendrick Goltzius, Lycaon transformé en loup. Gravure au burin. Rijksprentenkabinet, Amsterdam, inv. RP-P-1882-A-6351.
(1) Reznicek, op. cit., 1961, I, pp. 73-74.
(2) Leesberg, op. cit., nos 532-551, 552-571, 572-583, ill.
(3) Reznicek, op. cit., 1961, I, nos 99-104, ZW 10, II, figs. 119-124 ; E.K. Reznicek, ‘Drawings by Hendrick Goltzius, Thirty Years Later. Supplement to the 1961 catalogue raisonné’, Master Drawings, XXXI, no 3, automne 1993, nos 98a, 99a ; A. Stefes, Kupferstichkabinett. Niederländische Zeichnungen 1450-1850, Cologne, Weimar et Vienne, 2011, I, nos 362-365, III, ill. ; J. Shoaf Turner in Catalogue of Dutch and Flemish Drawings in the Victoria and Albert Museum, London, 2014, I, no 71, ill. p. 120. Pour les gravures, voir Leesberg, op. cit., nos 534, 545, 550, 554, 556, 558, 572-574, 582, ill.
(4) Inv. 1992.376 (Reznicek, op. cit., 1993, no 99a, fig. 26 ; N.M. Orenstein in Hendrick Goltzius (1558-1617). Drawings, Prints and Paintings, cat. exp., Amsterdam, Rijksmuseum, New York, The Metropolitan Museum of Art, et Toledo, Ohio, The Toledo Museum of Art, 2003-2004, no 38, ill.).
(5) Leesberg, op. cit., no 540, ill.
(6) S. Alsteens in From Floris to Rubens. Master Drawings from a Belgian Private Collection, cat. exp., Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, et Maastricht, Bonnefanten Museum, 2016, no 7, ill.
(7) Hollstein’s German engravings, etchings and woodcuts, 1400-1700, LXVIII, Virgil Solis. Book Illustrations, Ouderkerk aan den IJssel, 2006, no 1734/56.8. Pour les illustrations de Salomon, voir P. Sharratt, Bernard Salomon, illustrateur lyonnais, Genève, 2005, pp. 150-165, figs. 208-225.
(8) Inv. PK-T-AW-530 (Reznicek, op. cit., 1961, I, no 100, II, fig. 120 ; G.J. van der Sman in For Study and Delight. Drawings and Prints from Leiden University, Leiden, 2016, no 2.10, ill.).