Masque Punu Okuyi
Punu Mask, Okuyi
A propos de deux anciens masques des Punu : masque blanc et masque noir, la symbolique des couleurs au Sud-Gabon La présentation simultanée - ce qui est assez rare - de ces deux masques punu du Sud-Gabon, l'un à visage clair et l'autre à face noire, tous les deux anciens et de haute qualité plastique, est l'occasion d'évoquer en bref la symbolique des couleurs dans cette région occidentale de l'Afrique équatoriale. Si le blanc est omniprésent sur la plupart des masques gabonais - fang, punu-lumbu, tsogo, vuvi, etc. - mais aussi dans les parures corporelles des officiants et des initiés lors des cérémonies cultuelles, symbolisant le rapport aux esprits éthérés de l'au-delà, les ancêtres notamment, avec leurs qualités bénéfiques et protectrices, la couleur noire renvoie à l'inverse, aux forces occultes et maléfiques, spécialement celles émanant des défunts insatisfaits dont il faut craindre le ressentiment. Quant au rouge, souvent associé en contrepoint, il symbolise la vie et le sacré, que ce soit sous forme d'onguent d'origine végétale ou minérale ou par l'ajout d'une plume de perroquet (Psittacus erithacus) dans les cheveux. Les masques okuyi à visage enduit de kaolin blanchâtre à haute coiffe à coques et chignons peints de noir, sont beaucoup plus nombreux que les masques ikwara, à visage noir. Ils sont, les uns comme les autres, façonnés par la plupart des peuples du Sud Gabon, de l'Ogooué au Congo voisin, dont bien entendu les Punu de la vallée de la Ngounié autour de Mouila mais aussi les Eshira de Fougamou, les Vungu et les Apindji des lagunes côtières, les Lumbu de Tchibanga et Mayumba, sans oublier les anciens Mpongwe de l'Estuaire (région de Libreville). Ici et là, ils portaient des noms différents : okukwé et mbwanda chez les Myènè (Mpongwe, Enenga, Galoa); okuyi, mukuyi, mukudj'(selon A. LaGamma, 1995) chez les Eshira; Eveïa, Vungu, Punu, Lumbu, Tsengui, mvudi et oso chez les Tsogo et les Ndzebi. Le terme générique okuyi est parfois remplacé, dans la région des lacs du Bas-Ogooué (Lambaréné), par des expressions métaphoriques telles que: ezogha (c'est-à-dire "la société secrète à initiation"), tata mpolo (c'est-à-dire "le papa tout-puissant"), ezoma z'anomé ("la chose des hommes" - c'est-à-dire interdite aux femmes et aux enfants). Mais partout, c'est la même danse rituelle, aux origines très anciennes et peu à peu nourries au fil des siècles d'apports culturels des peuples méridionaux du Congo, dont le rôle était d'invoquer un esprit de l'au-delà, revenu du monde des morts dans celui des vivants, représenté sous les traits d'une "belle jeune femme" au visage idéal, aux pommettes hautes sous un large front arqué, marqué de scarifications en chéloïdes ou de motifs en "écailles" de signification socio-historique, avec de grands yeux mi-clos aux paupières protubérantes dans des orbites creuses, fardé du kaolin funéraire (pembi ou pèmba) ou d'un pigment sombre, aux lèvres pulpeuses colorées de ngula rouge vif, surmonté d'une magnifique coiffure à coques rembourrées (de différents types à une ou plusieurs coques), toujours de couleur sombre - rappelant directement les coiffures féminines à la mode du 19ème siècle au Gabon. Le danseur de l'okuyi, accompagné de ses acolytes, parcourait la cour du village, juché sur de hautes échasses (celles des masques noirs ikwara étant plus courtes), en provoquant par des figures acrobatiques impressionnantes, ceux qui faisaient mine de le chasser. Ces performances dansées, aux figures codifiées, avaient un grand succès auprès des villageois. Après avoir eu autrefois un rôle de régulateur social ou parfois de justicier qui le faisait craindre, l'okuyi s'est peu à peu transformé au milieu du 20ème siècle en manifestation de divertissement communautaire. Dans la tradition des peuples de la Ngounié, la danse okuyi était organisée, toujours en milieu de journée, lors des funérailles et levers de deuil des notables, mais aussi de certaines femmes comme les jumelles et mères de jumeaux ; pour célébrer la naissance ou l'initiation de jumeaux ; à l'occasion des initiations des jeunes gens ; pour restaurer l'ordre social après un bris d'interdit grave, une maladie inexplicable ou un décès suspect ; pour conjurer ou jeter un mauvais sort ; pour rechercher un sorcier maléfique ; etc. Le cas des masques punu noirs, appels ikwara (ou ikwara-mokulu, c'est-à-dire le "masque de la nuit", en rapport avec les circonstances d'intervention du masque, toujours de nuit à la lueur fantomatique des torches d'herbes enflammées), est un peu particulier car certains de nos informateurs punu et galoa nous ont indiqué que ces masques noirs étaient parfois des "masques blancs" ayant été occasionnellement maquillés d'un pigment noir, faute de disponibilité d'un masque ikwara spécifique (cf. Punu, 2008, pl. 12, p. 137 - Sotheby's New York, 17 mai 2007, lot 124). Il existait cependant de rares masques noirs qui, façonnés comme tels, étaient soigneusement conservés par les initiés de l'ikwara, ce qui est le cas ici. Ces masques sont rares dans les collections occidentales car in-situ, ces objets-là étaient spécialement dissimulés aux yeux des Européens de passage, ce qui n'a jamais été le cas des masques okuyi. Les pigments noirs ou brun foncé étaient obtenus par la calcination de morceaux de bois - le charbon végétal (mbii) ainsi obtenu étant pulvérisé puis mélangé du copal - copal fossile à odeur d'encens du Guibourtia Demeusii (Harms) - et à de l'huile de palme comme liant - afin d'obtenir une sorte de peinture pouvant pénétrer profondément dans le bois du masque - ou par application superficielle d'un suc végétal extrait des feuilles de Whitfieldia Longifolia (T.And) [Raponda-Walker A. & Sillans R. "Les plantes utiles du Gabon", ed. Lechevalier, Paris 1961, p.43 et 229]. Si la couleur blanche est le symbole du monde des esprits des morts et du rapport aux ancêtres, la teinte noire est en rapport de sens avec l'inframonde de la sorcellerie, des esprits et des forces inquiétantes qui en émanent, qu'il convenait de conjurer périodiquement. Le noir et le blanc sont donc les marques chromatiques réciproques de la mort, dans son ambivalence fondamentale, faite de forces occultes tantôt favorables tantôt maléfiques, mais inéluctablement liées à la destinée humaine. Blanc et noir La comparaison de ces deux anciens masques punu permet de souligner d'une part des détails morphologiques convergents et d'autre part des différences notables. Sur les deux oeuvres, certains détails de forme sont identiques, marquant leur appartenance à l'univers plastique des peuples du Sud Gabon : un visage humain ovale à modelé naturaliste (front haut et bombé, arcades sourcilières arquées et orbites en léger creux, nez un peu épaté avec les "ailes" marquées, bouche assez petite aux lèvres ourlées et pulpeuses, philtrum sous le nez, oreilles, tresses jugales en "cadenette" se rejoignant sous le menton (à remarquer qu'ici, cette natte est encore entière, ce qui est rare). Sur le masque okuyi, la poudre de kaolin a disparu, ainsi que les pigments rouges, laissant apparaître le bois qui a pris peu à peu une patine ambrée. D'autres détails sont différents: des scarifications en "écaille", pour le masque blanc, au centre du front et sur les tempes, mais sur le masque noir, des incisions gravées en traits longitudinaux tant sur le front (axe vertical) qu'en prolongement des yeux à l'horizontale vers les tempes et surtout sur les joues de part et d'autre de la bouche. Une autre différence: les types de coiffe. Le masque blanc présente une haute coiffe à coque centrale rembourrée (buyi) à deux volumineux chignons latéraux élégamment arqués en arrière des oreilles, prolongés par des tresses jugales en "cadenettes" se rejoignant sous le menton (cf. Punu, 2008, pl.1 et p.136, nattes jugales brisées), alors que le masque ikwara arbore une coiffe à deux coques (mabuda) étroitement jumelées avec des chignons latéraux relevés au niveau du front, aux extrémités curieusement ourlées selon une boucle semblant raccrochées à un bandeau frontal (cf. Punu, 2008, pl.21, 22 et 23, p.138 et pl.47, p.141). Enfin, on peut remarquer que ce masque okuyi rappelle, trait pour trait, le visage d'une statuette représentant une jeune femme porteuse de gourdes, délicatement scarifiée sur le front, le torse et le ventre, collectée au Gabon occidental avant 1889 et exposée dès cette époque à Cincinnati (39.3 cm, Cincinnati Art Museum, anc. coll. Carl Steckelmann, 19ème siècle, in Perrois et Grand-Dufay, 2008, Punu, pl. 42 et p. 142).
Masque Punu Okuyi Punu Mask, Okuyi

GABON

Details
Masque Punu Okuyi
Punu Mask, Okuyi
Gabon
Hauteur: 30 cm. (12 in.)
Provenance
Collection privée française
Exhibited
Joinville, Chroniques du sacré, Château du Grand Jardin, 10 octobre au 20 décembre 2009, publié au catalogue sur la couverture et page 45
Further details
The simultaneous presentation of two Punu masks from South Gabon, one black and one white, both ancient and sculpted with great skills, is quite rare. It gives us the opportunity to raise quickly the symbolic of colors in this western region of Equatorial Africa.
White is omnipresent on Gabonese masks, such as the fang, punu-lumbu, tsogo or vuvi. This color is also used for body painting during cultural ceremonies, symbolizing the ancestral spirits, protecting and beneficial for the community. On the contrary, black is associated to evil forces, especially the ones emanating from unsatisfied deceased that people need to be afraid of. As for the red, often used in contrast with other colors, it symbolizes life and the sacred and is found under the form of natural unguent or parrot feathers (Psittacus erithacus) put in the hair.
The okuyi masks, which faces are covered in whitish kaolin and decorated with a high headdress painted in black, are much more numerous than the black ikwara masks. Both of them are made by most tribes of South Gabon, from Ogooué to Congo, including the Punus of the Ngounié valley around Mouila, the Eshiras from Fougamou, the Vungus, the Apidjis, the Lumbus from Tchibanga and Mayumba, and the ancient Mpongwes from the region around Libreville. According to the tribes, those masks have a different name: Okukwé and Mbwanda for the Myéné tribes (Mpongwe, Enenga, Gaola) ; Okuyi, Mukuyi and Mukudj' for the Eshira, Evea, Vungu, Punu, Lumbu, Tsengi ; Mvudi and Oso for the Tsogo and the Ndzebi.
In the lake region of down Ogooué (Lambaréné), the generic term okuyi is sometimes replaced by a metaphorical expression such as: ezogha (which means "secret initiatic society"), tata mpolo (which means the "powerful father"), and ezoma z'anomé ("the men's thing" forbidden to wives and children).

But everywhere they do the same old ritual dance that took some inputs from the western people of Congo during the centuries. This dance was made to invoke spirits from the underworld that were incarnated by a "beautiful young girl" with and ideal modeled face. This face needed to have high cheeks under an arched forehead, marked by scarifications that look like scales, with big half-closed eyes, protuberant eye lid within sunken eye socket, made up with funerary kaolin (pembi or pèmba) or a dark pigment, full lips colored with red ngula, and covered with a beautiful headdress that is always dark which reminds directly of the feminine headdress in Gabon during the XIXth century.
The okuyi dancer, accompanied with his acolytes, went through the village on high stilts provoking people with acrobatic and impressive figures. These codified danced performances, had a great success on people. After having in the past a regulating social role of a justice maker, the okuyi became more and more on the mid XXth century, a communautary entertainement.
In the tradition of the people from the Ngouni, the okuyi dance was organized always in the middle of the day, for important men's funerals and lifts of mourning period. It was also organized for some women such as twins and mothers of twins, or to celebrated the birth or the initiation of young people, or to restore social order after a crisis in the community, or to spell bad fate or again to look for an evil sorcerer etc.

The black punus called ikwara (or ikwara-mokulu, which means "the mask of the night" because it is always used during the night under the light of torches made from burning herbs) is quite particular. Some of our Punu and Galoa informants told us that those black masks were sometimes "white masks" that were occasionally covered with black pigment if an ikwara was lacking (cf. Punu, 2008, pl. 12, p 137 - Sotheby's New York, 17 mai 2007, lot n124). Nevertheless, some black punu masks existed that were kept very carefully by the initiates (which is the case here). These masks are rare in western collections because in-situ, these objects were especially hidden from Europeans which is definitely not the case for the okuyi. The black or brown pigments were made from the calcination of wood. This coal (mbii) was then sprayed and mixed to copal (Guibourtia Demeusii) and palm oil to obtain a kind of painting that could penetrate profoundly in the wood or by application of a natural sap extracted from leaves of Whitfieldia Longifolia. [Raponda-Walker A. & Sillans R. "Les plantes utiles du Gabon", ed. Lechevalier, Paris 1961, p.43 et 229].

If the white color is linked to the world of spirits and ancestors, black is associated with the underworld, sorcery and threatening forces that emanates from it. Black and white are then both chromatic marks of death in its fundamental ambivalence, made of occult forces sometimes well-inclined and sometimes malefic but unavoidably linked to human destiny.

Black and white
The study of these two ancient Punu masks allows us to compare morphological details. On the two pieces, certain details are similar and linked to the style of South Gabon: an oval human face with a naturalistic look, a high and convex forehead, deep arches of the eyebrows and quite concave orbits, a flat nose with marked wings, a small mouth with hemmed and full lips, a smooth philtrum above it, some ears, and some plaits that go around the face and meet under the chin. We shall point out the fact that these plaits are complete which is quite rare. On the okuyi mask, the kaolin powder has disappeared, so as the red pigments, revealing the wood which took, along the years, a nice auburn patina.
Others details distinguish them. On one side, the white mask has the scarifications in "scales" in the middle of the face and on the temples. On the other side, we can see on the black one some incised lines on the forehead, on both side as an extension of the eyes towards the temples and on the cheeks on both sides of the mouth.
Another difference is the headdresses. The white mask is decorated with a high central padded case (buyi) with two voluminous lateral buns that are put behind the ears and then prolonged in plaits that go under the chin. As for the ikwara, the mask arbor a headdress with two cases (mabuda) closely linked with lateral buns both raised on the forehead, with their extremity strangely curled (cf. Punu, 2008, pl. 21, 22 et 23, p. 138 et pl. 47, p. 141).
Finally, we can point out that the okuyi mask is very similar to the face of a feminine figure carrying flasks, softly scarified on the forehead, the torso, the belly, collected in western Gabon before 1889 and exhibited at the Cincinnati Art Museum (39.3 cm, Cincinnati Art Museum, anc. coll. Carl Steckelmann, 19me sicle, in Perrois et Grand-Dufay, 2008, Punu, pl. 42 and p. 142).

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Lot Essay

Les masques okuyi étaient utilisés pour des cérémonies festives diurnes, le danseur était monté sur de hautes échasses. Le visage autrefois peint au kaolin est inscrit entièrement dans l'ovale formé par la coiffe et les nattes couvertes d'un épais engobe noir. Les traits sont particulièrement fins, ornés de larges scarifications traditionnelles en forme d'écailles de poisson. La large collerette de fixation de parure est constellée d'anciennes chevilles de bois. La taille interne est précise, conservant la trace de la fine gouge utilisée pour évider le masque. La patine tant interne qu'externe montre l'exceptionnelle ancienneté de l'objet, probablement sculpté au XIXème siècle. Sans être unique, la coiffe dont les nattes latérales sont jointives sous le menton est une rareté dans les masques okuyi; dans certains cas la boucle formée sous le menton par les nattes servait à rehausser le masque à l'aide d'une tige pour accentuer l'aspect surnaturel de l'okuyi qui représente une jeune fille défunte revenant visiter son village. D'une qualité exceptionnelle ce masque est sans doute originaire du Sud-Gabon non loin du Congo, région dont proviennent aussi des statuettes d'un style identique comme le souligne Louis Perrois dans son essai.

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