Lot Essay
« Ce qui, en peinture, serait de l’ordre de la surface, de la maîtrise et du raffinement serait le lot des paysages parisiens, tandis que le choc global des formes et des couleurs serait davantage adapté à ceux de New York. » - Raphael Rubinstein
F’s Picture (1968) [lot 2] est un tableau incontournable dans l’œuvre de Shirley Jaffe et a contribué fortement à la rendre célèbre. À cette époque, le travail de l’artiste américaine passe d’une gestuelle souple à des compositions géométriques plus strictes.
Ici, la toile est organisée autour de différents aplats rectangulaires orange, ocre, sarcelle, pêche, vert pâle et bleu. Bien qu’abstraits, ces rectangles colorés semblent évoquer un paysage urbain. Cette rigidité architecturale est contrebalancée par des lignes courbes contenues dans une cellule centrale, ainsi que par le cercle blanc apparaissant dans le coin supérieur droit du tableau.
Comme son titre le laisse à penser, Shirley Jaffe dédie cette œuvre à Jean Fournier, qui fut un soutien essentiel dans son travail. On le sait, sa célèbre galerie parisienne a facilité le dialogue artistique entre la France et les États-Unis dans les années 1950 et 1960.
F’s Picture a ainsi été exposé lors de la première grande rétrospective de l’artiste, « Shirley Jaffe : An American Woman in Paris » au Centre Pompidou en 2022, et lors de l’exposition « Shirley Jaffe : Form as Experiment » au Kunstmuseum Basel l’année suivante.
Jaffe naît dans le New Jersey en 1923 et grandit à Brighton Beach, à Brooklyn. Elle étudie à la Cooper Union School of Art et s’installe à Paris en 1949, rejoignant ainsi une importante communauté de peintres expatriés dans la capitale française dans cette période d’après-guerre. Grâce à Jean Fournier, la plasticienne américaine se rapproche de nombreux artistes, notamment de ses compatriotes américains Sam Francis, Joan Mitchell, Kimber Smith, Norman Bluhm et James Bishop, ainsi que les français Pierre Buraglio et Bernard Piffaretti. À cette époque, déclare le critique d’art Pierre Wat, la galerie Fournier est « un lieu de confrontation où les artistes aiguisent leurs singularités. Ici, la confrontation vaut émulation : une manière d’affiner sa différence au contact, parfois rugueux, d’autres artistes. » (P. Wat, 'Ne rien attendre, tout espérer', in Petit journal pour l'exposition ''Petits et grands tableaux en souvenir de Jean Fournier'', Galerie Jean Fournier, Paris 2016, p. 9)
Pour de nombreux artistes gravitant dans la galaxie Fournier, cette émulation s’avère aussi positive que productive. Ainsi, dès le début des années 1960, Jaffe commence à s’éloigner du style expressionniste abstrait pour développer son propre langage géométrique. Au retour de ses voyages sur la côte Est des Etats Unis, elle apprécie le contraste palpable entre Paris et New York. Face à la « surface plane, belle et régulière » du paysage urbain de la capitale française, Manhattan lui apparaît plus brutalement rectiligne, et, selon les termes de l’artiste, « remplie de collages » (S. Jaffe citée dans R. Rubinstein, « Shirley Jaffe with Raphael Rubinstein », The Brooklyn Rail, avril 2010).
Avec ces zones de couleur uniformes délimitées à l’intérieur de grilles, les peintures de Jaffe rappellent les patchworks américains, évoquant une forme de topographie. Elles peuvent également faire penser aux papiers gouachés découpés tardivement par Henri Matisse que Jaffe avait admirés au musée des Arts Décoratifs de Paris en 1961. Fabriqués à l’aide de papiers peints colorés et d’une paire de ciseaux, les papiers découpés du célèbre artiste combinent en un même geste la ligne, le volume et la couleur qui lui rappellent la taille directe des sculpteurs. Jaffe, quant à elle, a choisi la peinture comme médium unique.
« Je ne veux pas coller et couper. Et j’aime peindre », déclarait-elle. « J’aime la sensation du pinceau. J’aime le coup de pinceau » (S. Jaffe citée par R. Rubinstein, ibid.).
F’s Picture est en quelque sorte le triomphe des opposés : ce tableau mêle expression et retenue, spontanéité et ordre, contrôle et plaisir.
F’s Picture (1968) [lot 2] est un tableau incontournable dans l’œuvre de Shirley Jaffe et a contribué fortement à la rendre célèbre. À cette époque, le travail de l’artiste américaine passe d’une gestuelle souple à des compositions géométriques plus strictes.
Ici, la toile est organisée autour de différents aplats rectangulaires orange, ocre, sarcelle, pêche, vert pâle et bleu. Bien qu’abstraits, ces rectangles colorés semblent évoquer un paysage urbain. Cette rigidité architecturale est contrebalancée par des lignes courbes contenues dans une cellule centrale, ainsi que par le cercle blanc apparaissant dans le coin supérieur droit du tableau.
Comme son titre le laisse à penser, Shirley Jaffe dédie cette œuvre à Jean Fournier, qui fut un soutien essentiel dans son travail. On le sait, sa célèbre galerie parisienne a facilité le dialogue artistique entre la France et les États-Unis dans les années 1950 et 1960.
F’s Picture a ainsi été exposé lors de la première grande rétrospective de l’artiste, « Shirley Jaffe : An American Woman in Paris » au Centre Pompidou en 2022, et lors de l’exposition « Shirley Jaffe : Form as Experiment » au Kunstmuseum Basel l’année suivante.
Jaffe naît dans le New Jersey en 1923 et grandit à Brighton Beach, à Brooklyn. Elle étudie à la Cooper Union School of Art et s’installe à Paris en 1949, rejoignant ainsi une importante communauté de peintres expatriés dans la capitale française dans cette période d’après-guerre. Grâce à Jean Fournier, la plasticienne américaine se rapproche de nombreux artistes, notamment de ses compatriotes américains Sam Francis, Joan Mitchell, Kimber Smith, Norman Bluhm et James Bishop, ainsi que les français Pierre Buraglio et Bernard Piffaretti. À cette époque, déclare le critique d’art Pierre Wat, la galerie Fournier est « un lieu de confrontation où les artistes aiguisent leurs singularités. Ici, la confrontation vaut émulation : une manière d’affiner sa différence au contact, parfois rugueux, d’autres artistes. » (P. Wat, 'Ne rien attendre, tout espérer', in Petit journal pour l'exposition ''Petits et grands tableaux en souvenir de Jean Fournier'', Galerie Jean Fournier, Paris 2016, p. 9)
Pour de nombreux artistes gravitant dans la galaxie Fournier, cette émulation s’avère aussi positive que productive. Ainsi, dès le début des années 1960, Jaffe commence à s’éloigner du style expressionniste abstrait pour développer son propre langage géométrique. Au retour de ses voyages sur la côte Est des Etats Unis, elle apprécie le contraste palpable entre Paris et New York. Face à la « surface plane, belle et régulière » du paysage urbain de la capitale française, Manhattan lui apparaît plus brutalement rectiligne, et, selon les termes de l’artiste, « remplie de collages » (S. Jaffe citée dans R. Rubinstein, « Shirley Jaffe with Raphael Rubinstein », The Brooklyn Rail, avril 2010).
Avec ces zones de couleur uniformes délimitées à l’intérieur de grilles, les peintures de Jaffe rappellent les patchworks américains, évoquant une forme de topographie. Elles peuvent également faire penser aux papiers gouachés découpés tardivement par Henri Matisse que Jaffe avait admirés au musée des Arts Décoratifs de Paris en 1961. Fabriqués à l’aide de papiers peints colorés et d’une paire de ciseaux, les papiers découpés du célèbre artiste combinent en un même geste la ligne, le volume et la couleur qui lui rappellent la taille directe des sculpteurs. Jaffe, quant à elle, a choisi la peinture comme médium unique.
« Je ne veux pas coller et couper. Et j’aime peindre », déclarait-elle. « J’aime la sensation du pinceau. J’aime le coup de pinceau » (S. Jaffe citée par R. Rubinstein, ibid.).
F’s Picture est en quelque sorte le triomphe des opposés : ce tableau mêle expression et retenue, spontanéité et ordre, contrôle et plaisir.